jeudi 11 avril 2019

L'HET toujours en débat




L'HET toujours en débat

Gildas Bourdais, avril 2019



Introduction

Depuis la première grande vague d’apparition des fameuses « soucoupes volantes » en 1947, le monde s’interroge sur leur réalité et leur signification. Pour les sceptiques, ce ne sont qu’illusions ou fabulations, mais parmi les partisans de leur réalité, la nature véritable de ces soucoupes ou ovnis est également débattue, encore aujourd’hui. Schématiquement, deux écoles s’affrontent : les partisans de l’« hypothèse extraterrestre » ou « HET », et les partisans d’hypothèses autres, que l’on peut qualifier de « paranormales », voire spirituelles, écartant peu ou prou l’HET. En fait, il y a toute une gamme de points de vue intermédiaires, notamment l’HET « élargie », ou « évoluée » qui reconnait les limites de l’HET au premier degré (les soucoupes « en tôles et boulons ») et cherche à intégrer d’autres « dimensions », et phénomènes connexes « à haute étrangeté » selon l’expression proposée par la journaliste et ufologue américaine Linda Moulton Howe. Je crois pour ma part que ces idées vont dans la bonne direction.
Compliquons un peu les choses. Du côté de l’HET est née assez vite, notamment aux Etats-Unis dès le début des années 50, l’idée qu’il y a une politique du secret militaire : c’est le déni pur et simple des ovnis, le « debunking ». Je pense également que c’est un aspect très important du débat. Cependant, cette ligne de dénonciation du secret a pris une ampleur considérable depuis quelques années, certains auteurs comme Michael Salla dénonçant un véritable monde du secret, essentiellement américain, qui possèderait des flottes d’énormes astronefs, des bases sur la Lune et sur Mars, et qui serait en relation avec des extraterrestres ! J’ai fait une critique résumée de ces vues extrêmes, « conspirationnistes », dans un article précédent que l’on peut lire sur ce blog.  N’oublions pas cette question du secret, mais essayons ici de résumer certaines spéculations qui  écartent plus ou moins l’HET  et se tournent vers des hypothèses dites « paranormales ».
On connaît les critiques classiques de l’HET, avancées par les uns et les autres. Ce sont notamment :
- Les distances énormes entre le Soleil et les autres étoiles, que la limite de vitesse de la lumière rend sans doute infranchissables ;
- Le trop grand nombre d’observations, rapportées par dizaines de milliers dans le monde entier ;
- l’absence de traces au sol et d’éléments matériels ;
- les performances impossibles : vitesses énormes, ou vol stationnaire, virages à angle droit, apparitions et disparitions quasi instantanées ;
- l’apparente absurdité de la plupart des « rencontres rapprochées » alias « RR3 » et le manque de contacts crédibles (pourquoi ne se montrent-ils pas vraiment ?) ;
- des explications de nature « psychopathologique » (ils ont « un grain », ces témoins, et ils ont envie de croire !), etc.
L’addition de ces critiques est lourde et décisive pour beaucoup. Jacques Vallée, l’un des auteurs les plus connus pour son scepticisme sur l’HET, a retenu, depuis des années dans plusieurs livres, cinq critiques qui font encore référence aujourd’hui. Les voici.

Jacques Vallée et ses cinq critiques de l’HET

Voici les cinq arguments de Jacques Vallée contre l’HET, exposés notamment dans son livre Révélations de   1991 (date de la première édition originale chez Ballantine Books) :
1) le trop grand nombre d’apparitions et d’atterrissages ;

2)  l’aspect des humanoïdes décrits pas les témoins, trop semblables à nous ;

3) leur archaïsme technique sur le plan médical (dans les enlèvements) ;

4) la ressemblance avec le fonds folklorique ;

5) des propriétés physiquement impossibles.

J’ai déjà discuté ces arguments (Voir notamment mon article sur ce blog).  Je me contente de citer ici la « défense » de la forme humanoïde faite il y a déjà longtemps par le brillant astrophysicien britannique Fred Hoyle pour montrer au moins un point de vue très différent, de la part d’un scientifique reconnu. 

La « forme humanoïde » défendue par Fred Hoyle

L’astrophysicien britannique Fred Hoyle, connu pour son esprit indépendant, a plaidé pour la rationalité de la forme humanoïde, dans son petit livre Hommes et galaxies (Ed. fr. Dunod, 1969). Voici par exemple ce que dit Hoyle pour la tête (p. 37) :
« Remarquons ensuite que le cerveau est un fragile instrument qui doit se trouver encastré dans une sorte d’armure protectrice – des os, pourquoi pas ?  Remarquons aussi que l’œil occupe le meilleur emplacement à une hauteur maximale au-dessus du sol, ce qui lui procure le champ de vision le plus étendu. Remarquons que cet œil doit être situé près du cerveau pour que les informations optiques y arrivent dans le minimum de temps.  Qu’est-ce que cela donne ? Une tête, nécessairement ! »
On pourrait ajouter que le cou est très commode pour tourner la tête et voir très vite de tous côtés, que les oreilles, c’est bien aussi pour entendre vite et en toutes directions, et que la bouche soit également près des yeux pour bien voir ce que l’on mange !  La tête est très rationnelle.

Une conférence de Vallée sur la « composition matérielle » des ovnis

La position de Jacques Vallée sur les ovnis est complexe et évolutive. En 2017, il a même fait à Paris une conférence remarquée sur le thème de leur composition matérielle, ce qui implique qu’ils existent bien. Il a considéré trois types de matériaux provenant des ovnis, selon un compte-rendu fait par Yves Lignon :
« - les scories de métal en fusion éjectées par les ovnis qui sont comme des éjectas. Comme cela ressemble souvent à du mâchefer, les témoins n’y accordent pas d’importance et ne les ramassent hélas pas.
Les implants : ce sont de petits objets à l’usage inconnu que des témoins disent retrouver dans des parties de leurs corps (sur ce sujet, Jacques Vallée dit qu’il s’y intéresse davantage qu’autrefois)
des pièces structurelles récupérées sur les sites de crashes, voire des entités biologiques ! L’affaire de Roswell est le cas le plus archétypique de ce genre de récolte, même si les éléments de preuve manquent toujours et qu’un nuage de rumeurs et de faits non établis entoure le récit. »
En lisant cela, on constate que Vallée admet une réalité matérielle, objective, des ovnis. Il évoque même le crash de Roswell qu’il a mis en doute depuis des années ! Va-t-il finir par réviser ses positions sur leur nature et leur origine ? Pour l’heure, il continue à soutenir qu’ils émanent d’une mystérieuse « force de contrôle » tapie dans autre « dimension ».
Sur les implants, Vallée ne parle pas, sauf erreur, des extractions d’implants, peut-être extraterrestres, réalisées par le Dr Roger Leir en Californie. Seize opérations, dont deux financées par l’association NIDS du riche homme d’affaires Robert Bigelow à Las Vegas, y compris l’analyse des implants dans de grands laboratoires (notamment Los Alamos). Opérations pilotées par le colonel Alexander, directeur de la cellule scientifique de NIDS, dont fait partie Jacques Vallée ! Curieux oubli, donc, de sa part. Citons quand même, pour les nouveaux lecteurs ne connaissant pas l’histoire, deux livres du Dr Leir traduits en français : Ovnis et implants. Un chirurgien témoigne (Le Mercure dauphinois, 2003) et Contacts OVNI. La dernière frontière (même éditeur, 2012, traduit par moi).
Signalons une évolution récente de Robert Bigelow. Il y a encore deux ou trois ans, Bigelow était très discret sur la question des ovnis, bien qu’il ait financé des études,  comme on vient de le voir, ainsi que le grand sondage de l’organisation Roper sur les enlèvements publiée en 1992 (Unusual Personal Experiences). Il a en outre acheté le fameux ranch Skinwalker dans l’Utah où de nombreux phénomènes étranges ont été observés, y compris des ovnis. Voir le livre Hunt for the Skinwalker de Colm A. Kelleher et George Knapp, dont j’ai été co-traducteur (2005. Trad. Fr.  La science confrontée à l’inexpliqué sur un ranch isolé de l’Utah, Le Mercure Dauphinois, 2008). En 2017, Bigelow a commencé à s’exprimer publiquement, et il a dit sa conviction que les ovnis existent bien et qu’ils sont sans doute d’origine extraterrestre. On dit qu’il a reçu des subsides du Pentagone pour étudier des débris, dans sa société Bigelow Aerospace à Las Vegas. Il aurait reçu une partie des crédits alloués ces dernières années à l’étude secrète des ovnis, selon Luis Elizondo qui a fait quelques révélations en 2017 peu après avoir quitté son poste au Pentagone, où il était chargé de ces études. Ces révélations demandent à être confirmées, et ne sont sans doute qu’une partie émergée de l’iceberg, mais il y a du changement dans l’air. Et Vallée fait à présent une conférence sur l’étude des débris d’ovnis !
Revenons aux théories paranormales sur les ovnis. Quel pourrait être l’« agenda » de cette « force de contrôle », à l’origine des ovnis, selon Jacques Vallée ?

L’hypothèse de la « force de contrôle »

L’hypothèse centrale de Jacques Vallée est que les ovnis viennent d’une « autre dimension », ou plutôt qu’ils sont des mises en scène opérées par un mystérieux système de contrôle, ou « force de contrôle » cachée dans cette autre dimension. Soulignons que l’idée qu’il pourrait exister d’autres dimensions est évoquée depuis des années en physique fondamentale, comme dans la théorie des « supercordes », mais que c’est encore très spéculatif. Ainsi, avec Vallée, nous sommes toujours en plein mystère : quelle est la nature de cette « force de contrôle », et que nous veut-elle ?  Ce voile de mystère ne l’a pas empêché d’être écouté et respecté dans le monde entier, notamment en France, où il a de nombreux adeptes, auteurs à leur tour de livres influents. Je vais maintenant en citer quelques-uns, en commençant par Jean Sider, auteur bien connu de nombreux livres s’inspirant de Jacques Vallée, mais avec une vision un peu différente. Pour Sider, nous sommes sous la coupe d’une « Intelligence supérieure », qui nous aurait créés, comme toute la vie sur Terre ! Là, on n’est pas très loin d’une vision religieuse, dont Vallée, par contre, se méfie beaucoup …


Jean Sider et l’«Intelligence supérieure »

Jean Sider a écrit de nombreux livres, et je dois lui rendre hommage car il a été l’un des pionniers, notamment,  de l’étude de l’ufologie aux Etats-Unis, à l’époque où s’y produisait une véritable mutation, dans les années 70-80, avec des dossiers « chauds »  tels que les enlèvements, les mutilations de bétail, l’affaire de Roswell et la politique du secret, qu’il m’a d’ailleurs aidé à étudier à mon tour. Nous avons ainsi collaboré pendant plusieurs années, mais nos chemins ont commencé à diverger quelque peu quand il s’est engagé dans des spéculations « paranormales », que je ne peux pas suivre.  

Jean Sider a fait une synthèse de ses idées dans un livre publié en 2003 et republié en 2018 sans changement par l’éditeur JMG – Le Temps présent, sous le titre Ovnis. Dossier diabolique. Sous-titre : Désinformation, délires paranoïaques, crop-circles, hommes en noir, et enlèvements. Sa doctrine sur les ovnis et sujets connexes, est ainsi fixée depuis une quinzaine d’années, et je pense qu’elle ne changera sans doute plus. Il l’a résumée à la fin de son livre dans un « Bilan final » en dix points (pages 310 à 316). Essayons d’en extraire les points essentiels, sans le trahir.
Premier point (je le cite) : « La vie n’est pas née spontanément sur Terre. C’est la conclusion de certains scientifiques qui ont réduit l’évolutionnisme de Darwin à une chimère, même si l’orthodoxie scientifique persiste à défendre cette doctrine philosophique uniquement pour l’opposer au créationnisme des religions » Et Sider précise aussitôt son idée centrale : « Il est donc probable qu’une intelligence supérieure soit à l’origine de la vie ».

Disons-le tout de suite : oser affirmer que la théorie de l’évolution n’est pas une théorie scientifique, alors qu’elle est enseignée dans toutes les universités du monde (si l’on excepte certaines écoles fondamentalistes qui prennent les textes sacrés au pied de la lettre), c’est tout simplement contraire à la vérité. L’histoire de l’évolution est solidement étable, au moins dans ses grandes lignes, depuis l’apparition de la vie il y a près de trois milliards d’années.

Dans son deuxième point, Jean Sider suppose qu’elle a peut-être « importé la vie depuis Mars en des temps très reculés », « il y a des centaines de milliers ou de millions d’années ». Mais allons au troisième point qui me semble crucial pour résumer sa philosophie : « Il y a une grande probabilité pour que cette intelligence supérieure soit la même que celle qui est responsable de tous les phénomènes paranormaux dont font partie les ovnis. Elle a aussi suscité toutes nos grandes religions par la manipulation de divers prophètes et initiés.»
Au point 4, Sider spécule sur sa nature : « La nature de cette intelligence semble être ondulatoire et énergétique, évoluant sur des fréquences inconnues. Elle serait basée dans un milieu neutralisé où le temps n’existe pas ».

Que veut cette « Intelligence supérieure » ? Sider suggère une réponse au point 7 : « Elle paraît s’activer pour assurer ses propres besoins. Dans cette perspective, elle pourrait se sustenter à partir de l’énergie fournie par les émotions humaines les plus fortes. Ces émotions seraient surtout issues de la sexualité, de la frayeur, de la douleur, de la colère, etc. ». Il s’appuie là sur d’autres auteurs, comme les Américaines Karla Turner (Masquarade of Angels, 1994) et Eve Lorgen (The Love Bite, 1999).   
En citant ces deux auteurs connus en ufologie aux Etats-Unis, Jean Sider nous montre qu’il connaît bien le dossier si difficile, et « sulfureux », des enlèvements. Mais, partant de là, il en vient alors à comparer ces concepts à ceux des anciens Gnostiques au IIe siècle après J.-C., et l’on voit ainsi resurgir de très vieilles idées religieuses. Les Gnostiques, très pessimistes, croyaient que nous sommes sous la coupe de dieux maléfiques, les «Archontes », que nous devrons affronter dans l’Au-delà. On comprend mieux, dès lors, le titre de son livre : Ovnis Dossier diabolique !
Au, fait, que pense à présent Jean Sider de l’affaire de Roswell, qu’il avait beaucoup étudiée ? Eh bien, que c’était aussi, sans doute, une mise en scène de l’Intelligence supérieure qui tire les ficelles, pour nous faire croire à la réalité des ovnis et des ET. Mais, suppose Sider, elle aurait ensuite tout détruit, ne laissant aucune preuve entre les mains des militaires qui avaient récupéré l’ovni et les cadavres ! Décidément, à quoi joue-t-elle ?
Tournons-nous à présent vers d’autres auteurs, aux idées moins noires, mais s’inspirant beaucoup de Jacques Vallée et Jean Sider, tels que Eric Zurcher, Fabrice Bonvin, et l’équipe du livre Ovnis et Conscience.

Eric Zurcher et les « rencontres du troisième type »

L’expression « rencontres du troisième type », ou « RR3 », a été mise en avant par l’astrophysicien Allen Hynek en 1972. Elle est devenue très populaire avec le film du même titre de  Steven Spielberg en 1977, dont Hynek était conseiller technique. On voit celui-ci, brièvement, sur le plateau final du film où vient se poser, en grand secret évidemment, un grandiose vaisseau cosmique, illuminé comme un arbre de Noël, d’où vont émerger des ET filiformes. Ceux-ci, pacifiques, vont emmener le héros de l’histoire, un « contacté » aux anges, après avoir restitué les aviateurs engloutis dans le triangle des Bermudes en 1945, et qui n’avaient pas pris une ride ! Ce n’était pas surnaturel, mais presque. En fait, Eric Zurcher évite ce titre trop facile pour son livre Les apparitions mondiales d’humanoïdes, paru initialement en 1979 (Editions Alain Lefeuvre), et republié dans une version augmentée en 2018 (JMG – Le Temps présent). Zurcher a sélectionné plus d’une centaine de témoignages recueillis à travers le monde de 1944 à nos jours. Les témoins décrivent des êtres étranges et variés mais qui ont en commun d’être de morphologie « humanoïde » ; une tête, un tronc des bras et des jambes. Un autre point commun est le caractère comique, saugrenu, de presque tous les récits, tout au moins ceux retenus par Zurcher.

 Citons juste, par exemple, les cas No 13 « La croisière s’amuse » qui aurait eu lieu le 29 octobre 1959 à Aubagne, Bouches du Rhône, enquêté par un groupe ufologique de la région, le CRUN. Le témoin principal, Mme M., était occupée à étendre son linge sur sa terrasse ; « Soudain, elle aperçut un engin aérien de grande dimension qui descendait et se mit en stationnement au-dessus de sa tête » (en fait plutôt en face d’elle, selon le croquis du livre). Il était de forme ovoïde avec une grande verrière. Mme M. aperçut, « à travers la verrière, une vingtaine d’hommes de grande taille, en uniformes blancs, manches courtes et cols d’officiers ». Elle eut l’impression qu’ils se moquaient d’elle, et ils avaient l’air, en tout cas de bien s’amuser. La scène dura une dizaine de minutes puis l’ovni partit sans le moindre bruit.

Que penser d’une telle histoire ?  Eric Zurcher, il faut le reconnaître, a beaucoup réfléchi, et il met en avant deux caractéristiques de ces apparitions : l’élusivité et l’ostentation. Ainsi, le « phénomène », comme aiment à l’appeler ces auteurs, se montre mais reste insaisissable … Jusque-là, je suis assez d’accord, mais nous divergeons ensuite.  À quoi joue le « phénomène » ? Mystère, encore une fois. Peut-être est-ce un programme éducatif qui se déroule peu à peu pour nous faire comprendre que nous sommes sous la coupe de cette intelligence supérieure ? Cependant, on ne voit pas bien quel pourrait être le but final du processus…

Se pourrait-il que ce soit, plus simplement, un programme mis en œuvre par des extraterrestres pour nous habituer peu à leur présence, sans forcer la main aux sceptiques qui peuvent continuer ainsi à en rire ?  Non, non, non, ! Trop simple ! Zurcher écarte l’hypothèse extraterrestre. En étudiant son livre de plus près, on s’aperçoit que sont écartés de sa sélection des cas, même « classiques » qui sentent peut-être trop l’extraterrestre. Tels que Valensole et Trans-en-Provence en France, ou Roswell aux Etats-Unis, en dépit de la centaine de témoins crédibles de celui-ci. Pour ceux qui ne le connaissent pas, je suggère la lecture de mon dernier livre, paru en 2017 : Roswell. La vérité « (Presses du Châtelet). Ou, pour un dossier plus détaillé, mon livre Le crash de Roswell (JMG, Le Temps présent, 2009).

Roswell, écarté sommairement pas Eric Zurcher

On voudra bien m’excuser d’insister sur ce point. Zurcher s’est  sans doute rendu compte qu’il était difficile de passer complètement sous silence une affaire comme Roswell car, bien que ce ne soit pas à proprement parler une « RR3 », c’est néanmoins une porte d’entrée majeure vers le vaste territoire du secret militaire sur les ovnis. Eh bien, il en a dit quelques mots dans deux notes de bas de page. Voici la première (page 25) ;

« L’affaire du crash présumé de Roswell se déroule au début juillet 1947 soit deux semaines seulement après l’observation de K. Arnold au Mont Rainier (24 juin).  Le champ de débris sera découvert par le fermier « Mac » Brazel le 8 juillet et malgré l’abondance de la littérature concernant ce sujet depuis trente ans, il est impératif de relire soigneusement le témoignage originel de Brazel et ce qu’il décrit précisément ».

Là, Zurcher me fait bien rire, et une petite mise au point est « impérative », comme il dit.
1. Le Pentagone a admis implicitement, en 1995, que le témoignage du fermier Brazel de 1947, livré à la presse locale sous escorte militaire, était "dépassé".  Il racontait qu'il avait trouvé "cinq livres" de débris de ballon.  C'était bon pour la découverte d'un seul ballon météo et de sa cible radar, mais pas pour le train de 20 ballons "Mogul" de vingt kilos ou plus, la nouvelle explication des militaires.
Il vaut donc mieux oublier ce témoignage de Brazel. Mais que dire maintenant du train de ballons Mogul ?

2. La nouvelle version "Mogul" de 1995 n'a pas convaincu les enquêteurs officiels du Congrès. Le rapport du GAO, publié en juin, dit simplement que l'enquête sur ce qui s'est écrasé à Roswell "continue" (page 1 du rapport) contrairement à ce qu'a écrit Pierre Lagrange à l'époque, en pleine page de Libération (8 août 1995) où il a raconté qu'ils avaient accepté l'histoire des ballons. C’était faux.

3. En juillet 1995, au congrès du Mufon, j'ai obligé Karl Pflock, principal promoteur de Mogul, à admettre - en privé - qu'il y avait eu une violente explosion sur le terrain de Brazel. Or les ballons gonflés à l'hélium n'explosent pas ! Pflock n’en a pas moins soutenu la théorie Mogul lors du débat final au congrès …

Il est tout de même étonnant que l’on ose encore citer ce témoignage de 1947 du fermier Brazel, que les militaires avaient déjà abandonné en 1995, avec leur nouvelle théorie « Mogul » N’insistons pas et passons à un autre auteur, Fabrice Bonvin, bien connu lui aussi des lecteurs francophones.


Fabrice Bonvin et Gaïa, le « secret des secrets »

Fabrice Bonvin a renouvelé cette réflexion, paranormale et ésotérique, il y a une quinzaine d’années avec deux livres remarqués : Ovnis. Les agents du changement (JMG 2005) et Ovnis. Le secret des secrets (JMG 2006). Essayons de résumer rapidement cette nouvelle approche, subtile, de Bonvin. Selon lui, les ovnis existent bien mais ils ne sont pas d’origine extraterrestre. Il pense lui aussi que ce sont des mises en scène, produites par un « super organisme terrestre appelé Gaïa » (page 400 du premier livre). Il reprend des idées déjà formulées par d’autres auteurs, comme le Mundus Imaginalis de Henri Corbin, et le « système nerveux gaïen de Lovecock.  Il résume ainsi son idée :
« L’intelligence supraterrestre peut désormais se définir comme " la branche active, l’aile engagée de Gaïa". Il s’agit d’un moyen de communication sophistiqué que Gaïa utilise afin de susciter un changement chez l’espèce humaine qui soit favorable à son objectif de conservation de la vie sur Terre. »

Fabrice Bonvin croit aussi que Gaïa est mécontente des hommes qui polluent la planète, et nous le fait savoir, si j’ai bien compris, avec ces apparitions d’ovnis… Il a continué à développer cette idée de Gaïa, dans un deuxième livre paru un an plus tard, Ovnis. Le secret des secrets. L’idée centrale est que l’existence de Gaïa est, aux yeux des militaires américains, le grand secret qu’il faut absolument protéger, plus que les ovnis eux-mêmes ! Je le cite :
« Le secret initial – l’existence du phénomène ovni – entraîne rapidement un deuxième secret : l’origine du phénomène. C’est aux alentours de 1949 que les plus grands cerveaux américains identifient l’origine gaïenne des ovnis. » (page 59)

Reconnaissons-le.  C’est un joli coup de raquette de la part de cet auteur car il peut ainsi moderniser et muscler sa thèse « gaïenne » en la reliant à la politique du secret sur les ovnis, principalement américaine, qu’il connaît bien, et qu’il dénonce avec virulence. La « quatrième de couverture » explique, sur un ton, assez triomphaliste : « Il lève le voile sur les opérations de propagande, la collusion et la complaisance de l’industrie médiatique ainsi que la manipulation qui s’exerce sur la communauté scientifique. Cet ouvrage révèle – en exclusivité mondiale – les études ultra -secrètes et les identités des acteurs impliqués dans la recherche sur les OVNIS aux États-Unis. »
Juste un mot, d’abord, sur « l’exclusivité mondiale » : cela fait plusieurs décennies que de nombreux chercheurs dénoncent la politique du secret, des deux côtés de l’Atlantique ! Au fait, y a dans ce livre un assez long développement sur l’affaire de Roswell, que Bonvin a visiblement étudiée de près. Il cite même ma critique du colonel Corso, tout en me présentant comme « un défenseur invétéré de l’authenticité du crash de Roswell » (page 108). Mais alors, pourquoi parler de Roswell ? Il explique que tout cela, c’est de l’intox militaire pour nous faire croire aux ET : « Les opérations d’intoxication consistent généralement à « fournir » des informations entretenant l’obsession extraterrestre » (p. 98). Comprenez bien : en parlant des ET, on ne parle pas de Gaïa. Mais je me demande si ce n’est pas le contraire, chez Bonvin : parler de Gaïa pour noyer les ET !

En fait, cette approche spectaculaire de Fabrice Bonvin – Gaîa, le « secret des secrets » – ne semble pas avoir rencontré un très grand succès. Pourquoi ? D’abord, on ne trouve nulle part, dans les nombreux déclassifiés, la moindre notion d’une origine « gaïenne » des ovnis. Et puis, peut-être, parce que des « révélations » bien plus excitantes sont apparues sous la plume d’auteurs comme Steven Greer et Michael Salla, sur des opérations ultra-secrètes dont j’ai parlé dans un précédent article.

Plus récemment, Fabrice Bonvin s’est réorienté, en quelque sorte, en dirigeant un ouvrage collectif, Ovnis et Conscience, paru en 2015, qui a suscité plus d’intérêt dans le monde ufologique francophone. Essayons de présenter, au moins brièvement, cet ouvrage car il s’inscrit lui aussi dans cette mouvance générale qui rejette l’hypothèse extraterrestre.    


Ovnis et conscience

Un livre collectif, considéré par certains comme important, est paru en 2015 sous le titre ambitieux Ovnis et conscience. L’inexpliqué au cœur du nouveau paradigme de la physique (JMG. Le temps présent). Le titre vise d’abord les ovnis, mais le sous-titre indique que les auteurs voulaient élargir considérablement le sujet, en se servant peut-être des ovnis comme tremplin pour esquisser un nouveau « paradigme » scientifique. Ambitieux projet…  

Je dois avouer que beaucoup de pages de ce livre m’échappent, notamment sous la plume de Philippe Guillemant, ingénieur de recherche au CNRS, de Jean-Jacques Jaillat, philosophe et psychologue, et de Romuald Leterrier, chercheur indépendant en ethnobotanique et spécialiste du chamanisme amazonien. Je manque de compétence pour les commenter, mais je vais quand même essayer d’en dire quelques mots.

Je veux d’abord citer Daniel Robin, auteur connu en ufologie, qui est pour moi plus accessible, et dont je trouve respectable l’ambition – je le cite - « de faire émerger des " passerelles " entre la Science et la Spiritualité ». Selon lui, il y a deux axes de la réalité humaine : « la dimension horizontale qui est celle de l’espace/temps et la matière, et la dimension verticale qui comprend différents niveaux de conscience ».  Robin inclut beaucoup de choses dans cet axe vertical : « … conscience, transcendance, expérience avec l’au-delà et ses "habitants", chamanisme, expériences mystiques, E.M.I., états modifiés de conscience, channeling, etc. » Et selon lui, beaucoup de manifestations des ovnis nous ouvrent la voie de ces autres dimensions : « … nous pouvons commencer par dire que les Ovnis sont capables d’agir sur la conscience humaine et de générer des états modifiés de conscience chez les témoins » (page 66). Je veux bien le croire, mais je ne vais pas essayer de résumer davantage son approche de ces questions difficiles.

L’auteur le plus important de cet ouvrage collectif semble être Philippe Guillemant. Ma perception, en tout cas, est qu’il est le plus difficile à lire, et je n’ai pu que parcourir son gros chapitre de soixante pages. Guillemant avoue, au début, qu’il n’a abordé la question des ovnis que récemment : « Il y a à peine trois ans je faisais encore partie des personnes qui doutaient du caractère sérieux du phénomène Ovni ». Mais il a mis les bouchées doubles depuis, avec les encouragements de Jacques Vallée. Celui-ci l’a aidé, écrit-il, à rassembler les pièces d’un puzzle qui lui ont fourni « une réponse évidente et merveilleuse, confirmant pleinement une vision de ce que j’appelle l’"espace intérieur" dont je n’avais même pas encore osé parler… ».

Guillemant explique qu’il est parti de sa théorie de la « double causalité » par laquelle il voulait expliquer le phénomène de synchronicité.  Il affirme que « nos intentions peuvent agir sur la structure de l’espace-temps en configurant notre futur avec des informations qui peuvent produire en retour une sorte d’écho dans le présent, sous forme de synchronicités. »

Là, je commence à décrocher… J’ai l’impression, comme d’autres lecteurs avec qui j’en ai parlé, d’entrer dans un labyrinthe obscur dont j’ai plutôt envie de sortir au plus vite. Guillemant aborde ensuite des théories très pointues de physique fondamentale : les « univers bulle parallèles », la théorie des super-cordes, la physique quantique et l’idée de « multivers » ou « univers parallèles » (popularisée dans la science-fiction), le « dégel » de l’espace-temps dans la théorie de la « gravité quantique à boucles », pour en arriver à l’idée de « conscience quanto-gravitationnelle » qui nous permettrait de … changer notre futur ! Plus loin, Guillemant en arrive à décrire (figure 7, page 234), « les quatre étages de la conscience avec l’âme comme interface entre l’esprit et la matière ». Moi, j’ai envie de m’arrêter là, mais Guillemant replonge ensuite dans des théories de physique avancée, comme le passage par un trou noir ou trou de ver qui relie le passé et le futur, et dont on parle depuis pas mal d’années. J’ai noté aussi la théorie de la « bulle d’espace-temps » d’Alcubierre, qui permettrait de se déplacer plus vite que la lumière, et que je trouve pour ma part assez excitante. Très exploitée d’ailleurs au cinéma, comme dans Star Wars et Star Trek. En bref, on trouve de tout chez Guillemant !

Le philosophe Philippe Solal, dans le huitième et dernier chapitre "Une nouvelle vision de la réalité", nous invite à "revisiter les grandes figures de l'histoire de la philosophie pour qui, de Platon à Hegel, le postulat matérialiste était une naïveté dont il fallait se débarrasser" (p. 375). Ah bon !
Solal voit ainsi dans le "phénomène Ovni" autre chose que des "vaisseaux interplanétaires" :
"Sa nature est plus complexe et nous conduit à déduire l'existence d'une "noosphère"  ou d'une conscience globale aux multiples densités, connectée avec nous, dont nous représentons qu'un certain étage" (p. 377).

Pour être franc, Solal est pour moi assez abscons, à l’instar de Guillemant, mais je comprends où il finit par atterrir. Je cite le début de sa conclusion, intitulée « Remettre la statue à l’endroit » : « Au terme de notre parcours, qui s’est assigné pour délicate mission de souligner la cohérence des contributions et leur unité par-delà la diversité des angles d’approches adoptés, une première remarque s’impose. Prolongeant les travaux antérieurs d’auteurs comme John Keel, Jean Sider ou Fabrice Bonvin, l’ensemble des articles proposés offre, pour la première fois peut-être, une base pluridisciplinaire à une approche non-HET du phénomène Ovni ».
Nous y voilà ! Cet auteur a le mérite de mettre ainsi « les pieds dans le plat », à la page 374 de ce gros livre qui en compte 377. Et c’est bien là que je dis, moi : Stop, pas d’accord ! Je suis de ceux qui continuent à penser que, même s’il y a, en effet, des aspects « à haute étrangeté », voir des dimensions « spirituelles » en ufologie, il n’en reste pas moins certains aspects lourdement matériels, inquiétants, qui ne collent pas bien du tout avec ces belles idées. J’en cite juste un pour terminer : les mutilations de bétail inexpliquées, qui sévissent par dizaines de milliers, depuis des décennies, sur plusieurs continents. 


 Inquiétantes mutilations de bétail

Ces différentes visions peuvent séduire, à condition, me semble-t-il, de faire abstraction de certains aspects pourtant très concrets, et éventuellement inquiétants, de l’ufologie. L’un d’eux est bien connu, et depuis longtemps. C’est le lourd dossier des mutilations de bétail, apparu dans les années 60 aux Etats-Unis, qui s’est ensuite étendu à d’autres régions comme l’Amérique du Sud, et même l’Europe.  Il y a eu beaucoup d’enquêtes très sérieuses, notamment de la journaliste Linda Moulton Howe, aux Etats-Unis, qui a produit des livres et des vidéos très convaincants sur la réalité du phénomène. 

Je me contente ici de citer un dossier publié récemment, en septembre 2018 dans la revue Science et Inexpliqué. Il comporte un entretien avec un ancien officier, pendant dix ans, dans la Royal Air Force, David A. Cayton, qui a beaucoup enquêté et qui ne mâche pas ses mots. Je l’ai rencontré à l’occasion d’une conférence en Irlande en 2006, et je le trouve particulièrement crédible. À la question « Soutenez-vous l’hypothèse extraterrestre ? », il répond : « Absolument. Il semble probable que les blessures infligées aux animaux le soient par une espèce qui n’est pas très amicale ». Selon lui, « La grande question est : que font les kidnappeurs de tous ces organes, de ces tissus, de tout ce sang  prélevés ? C’est littéralement colossal » Citons encore une question : « Il s’agirait donc d’expériences menées par des extraterrestres ? » Extrait de la réponse de Cayton : « Sans aucun doute. L’existence d’appareils volants technologiquement avancés et intelligemment pilotés est une évidence depuis longtemps. Les repérages par radar et les nombreux témoignages de pilotes, qui se posent en professionnels du ciel absolument dignes de foi, sont un excellent moyen pour s’en convaincre ».

On n’a que l’embarras du choix pour lire de tels témoignages de pilotes sur les ovnis, qui sont cités dans de nombreux livres. Par exemple le rapport du Cometa paru en 1999 et republié en 2003 par les Editions du Rocher : Les OVNI et la Défense. À quoi doit-on se préparer ? Ou le livre de la journaliste américaine Leslie Kean : OVNIs. Des généraux, des pilotes et des officiels parlent (2010. Trad. fr : Dervy, 2014).


Mon point de vue personnel

On voudra bien m’excuser de donner, brièvement, mon point de vue personnel, pour terminer.
Je continue à penser, malgré toutes les difficultés, que l'HET tient toujours la route. Des « ET » sont là, pour certains peut-être depuis très longtemps. Avec le début de l’ère nucléaire, et ses dangers, ils ont décidé de commencer à se manifester avec des vagues d'ovnis, depuis 1947, pour nous alerter. Sur le nucléaire, le message ET est peut-être du genre : "Faites bien attention à vos armes nucléaires. C'est très dangereux, et nous ne vous laisserons pas abîmer cette planète !" Si c'est cela, c'est plutôt rassurant ! 
Ils se montrent, donc, mais furtivement, en gardant un pied sur le frein - avec notamment des histoires absurdes - pour éviter un emballement trop rapide et un choc culturel trop dramatique. Songeons seulement qu'ils nous ont peut-être manipulés génétiquement, s'il l'on en croit certaines révélations controversées (cf les documents "MJ 12"). Si c'est seulement à moitié vrai, alors c'est une bombe. Cela suffirait à expliquer la politique du secret des Américains, suivis de fait par la plupart des autres pays. Mais les choses commencent à bouger, doucement, car il faut bien avancer.  D'où, peut-être, les récentes révélations du Pentagone en 2017, qui niait tout depuis la fermeture de « Livre Bleu » il y a cinquante ans, mais admet à présent qu’il a continué à les étudier.  Voilà, me semble-t-il, où nous en sommes, pour l'essentiel, aujourd'hui, sur la question des ovnis.