Rendlesham et le risque de
désinformation
Gildas Bourdais, 15 mai 2003
Nick Pope, invité le 6 mars 2007 au repas ufologique de La Défense, puis à la radio Ici et Maintenant, est revenu en détail sur cette affaire extraordinaire d'atterrissage supposé d'un ovni, en décembre 1980, dans la forêt de Rendlesham, près de la base aérienne de Woodbridge, en Angleterre. Rappelons que Nick Pope a été responsable des enquêtes sur les ovnis au ministère de la Défense britannique, de 1991 à 1993, et qu'il a alors rouvert l'enquête sur cette affaire. Il a confirmé à Paris l'authenticité de cet incident, et qu'il y a bien eu un " cover-up " de la part de l'armée de l'Air américaine, responsable de cette base de l'OTAN. J'ai écrit en 2003 un article pour la revue LDLN (Lumières dans la Nuit), qu'il est peut-être intéressant de republier aujourd'hui, à cette occasion. Voici cet article, republié sans changement.
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De nombreux livres et articles ont présenté ces dernières années le remarquable cas d'atterrissage supposé d'un ovni à la fin de décembre 1980 dans la forêt de Rendlesham, près des bases britanniques de Woodbridge et Bentwaters, dans le Suffolk. Il n'est pas sans intérêt de noter que ces deux bases aériennes, occupées alors par l'armée de l'Air américaine, disposaient d'un stock important et très secret d'armes nucléaires. Nous savons qu'il est classique d'observer des ovnis à proximité d'installations nucléaires, en particulier des bases possédant des armes nucléaires.
La forêt de Rendlesham
Cette affaire complexe comprend de nombreux témoignages, et même un mémo officiel de l'armée de l'Air américaine, signé par le lieutenant-colonel Charles Halt, à l'époque commandant adjoint de la base de Woodbridge. Halt l'avait écrit le 13 janvier 1981 pour rendre compte de l'incident, dont il était lui même l'un des témoins. Dans l'esprit de Halt, son mémo devait rester secret, or il fut obtenu aux Etats-Unis en 1983 par des enquêteurs du groupe CAUS (Citizens Against UFO Secrecy) en application de la loi sur la liberté de l'information (FOIA).
Alors que, à l'époque, l'incident était resté confidentiel avec juste quelques rumeurs locales, la découverte de ce mémorandum officiel fut rapidement révélée en octobre 1983 dans la presse, d'abord dans le magazine populaire britannique The News of the World, puis avec réticence dans les journaux "sérieux" comme le Times et le Guardian. Plus tard, le colonel Halt a confirmé publiquement son témoignage à plusieurs reprises, notamment à la télévision britannique en 1991 et en 1994. L'affaire a encore été présentée le 15 mars 2003 par la chaîne BBC 3, avec plusieurs témoins, principalement le colonel Halt et l'ancien sergent James Penniston, autre témoin important de l'incident. Selon Graham Birdsall, directeur de UFO Magazine (numéro de mai 2003) (1), alors que le titre de l'émission évoquait un "mythe" ufologique, ces témoins et d'autres, notamment des civils qui ont vu passer l'ovni, ont donné une impression favorable de cet incident, malgré les opinions négatives de plusieurs sceptiques, également présents à l'émission. Incidemment, rendons ici hommage à la mémoire de Graham Birdsall, décédé brutalement en septembre 2003 des suites d'une hémorragie cérébrale, qui a été l'un des piliers de l'ufologie britannique et même internationale.
Le lieutenant-colonel Charles Halt
C'est donc une affaire qui reste actuelle aujourd'hui, et qui semble conforter l'hypothèse de "visiteurs" extraterrestres sur notre planète. Jacques Vallée a cependant exprimé en 1991 une opinion sceptique dans son livre Révélations. Pour lui, ce serait une expérience militaire de manipulation de l'opinion, visant à faire croire à une visite extraterrestre. La question d'une manipulation se pose, en effet, dans l'affaire de Rendlesham, mais peut-être pas du tout dans le sens que suggère Vallée. Un aspect peu connu de ce dossier est un récit du sergent Jim Penniston, recueilli en 1994 par un enquêteur lors d'une séance sous hypnose, dans lequel il a fait des révélations sensationnelles : les occupants de cet ovni étaient des humains venus d'un lointain futur, autrement dit, des "voyageurs temporels" ! Que peut-on penser d'une telle révélation ? On sait que l'hypothèse des voyageurs temporels venus de notre futur, si elle séduit certains, repose néanmoins sur des bases très fragiles, aux limites de la physique la plus spéculative. Or, comme je vais essayer de le montrer, il se pourrait que Penniston ait été victime, avec d'autres témoins, d'une manipulation destinée à brouiller les pistes. Mais résumons d'abord brièvement cet incident.
Le récit de l'incident
Une première observation rapprochée d'un ovni eut lieu dans la nuit du 25 au 26 décembre 1980, dans la forêt de Rendlesham, située entre la base de Woodbridge et la côte proche de la mer du Nord. Elle fut rapportée le lendemain matin par le sergent James (Jim) Penniston, le soldat John Burroughs, qui étaient de garde cette nuit là à la porte Est de la base, et le soldat Edward Cabansag qui les accompagna dans la forêt. Le colonel Halt l'a mentionnée dans son mémo du 13 janvier, mais avec, semble-t-il, une confusion sur la date car il y parle de la nuit du 27 décembre. Or les témoignages, notamment celui de l'officier auquel les soldats ont fait leur rapport, Fred Buran, confirment tous la nuit du 25. A ce détail près, le mémo du colonel Halt est l'une des pièces les plus solides du dossier.
James Penniston à l'émission BBC3
Dans son mémo intitulé "Lumières inexpliquées", le colonel Halt raconte que, vers 3 h du matin, deux soldats américains de la sécurité ont aperçu des lumières inhabituelles non loin de la porte d'entrée de Woodbridge. Les deux gardes, pensant qu'un avion s'était écrasé, ont demandé l'autorisation d'aller voir, qui leur a été donnée. Trois hommes sont partis à pied, et ont ensuite rapporté qu'ils avaient vu un étrange objet lumineux dans la forêt. Ils l'ont décrit comme étant
"d'apparence métallique et de forme triangulaire, d'environ deux ou trois mètres de large à la base et d'environ deux mètres de haut. Il illuminait la forêt tout entière d'une lumière blanche. L'objet lui même avait une lumière rouge pulsante au sommet et une série de lumières bleues en dessous. L'objet était, soit en vol stationnaire, soit posé sur des pieds. Alors que les gardes s'approchaient, il a manoeuvré à travers les arbres et a disparu. A ce moment, les animaux d'une ferme voisine sont devenus très agités. L'objet a encore été vu brièvement près de la porte d'entrée environ un heure plus tard".
L'ovni de la première nuit. Vue d'artiste. (UFO Magazine)
Le colonel Halt dit ensuite avoir participé le lendemain à une inspection des lieux, lors de laquelle on a trouvé trois empreintes là où l'objet avait été vu au sol. Elles mesuraient 7 pouces (17,8 cm) de diamètre et un pouce et demi (4 cm) de profondeur. Il y avait des traces de radioactivité bêta/gamma, de 0,1 milliröntgen, avec des pointes dans les trous et au centre du triangle.
L'ovni fit une nouvelle apparition dans la nuit du 27 au 28 décembre. Cette fois, une patrouille partit sur les lieux, dirigée par le lieutenant-colonel Halt lui-même, qui a raconté l'incident, d'abord dans son mémorandum du 31 janvier, et plus tard de manière plus claire et détaillée. Les enquêteurs ont même obtenu la bande-son enregistrée sur magnétophone par Halt et ses hommes alors qu'ils progressaient vers la lumière dans la forêt, révélant une grande tension parmi eux. Voici ce qu'il dit dans son mémo :
"Plus tard dans la nuit, une lumière ressemblant à un "soleil rouge" a été vue à travers les arbres. Elle se déplaçait et pulsait. A un moment, elle s'est mise à émettre des particules lumineuses, s'est scindée en cinq objets blancs et a disparu. Juste après, trois objets ressemblant à des étoiles ont été remarqués dans le ciel, deux vers le nord et un vers le sud, tous à environ dix degrés au-dessus de l'horizon. Les objets se déplaçaient rapidement en mouvements angulaires aigus, et arboraient des lumières rouges, vertes et bleues. Les objets au nord étaient de forme elliptique, vus avec des jumelles de 8-12. Elles ont pris ensuite une forme pleinement circulaire. Ces objets sont restés dans le ciel pendant une heure ou plus. L'objet au sud a été visible pendant deux ou trois heures, et il émettait un pinceau de lumière vers le bas, de temps en temps".
Le colonel Halt signale pour finir que de nombreuses personnes, y compris lui même, ont été témoins de ces observations.
Une affaire qui n'est pas classée
De nombreux sceptiques se sont employés à mettre en doute cette affaire, qui reste ouverte encore aujourd'hui. L'une des explications qui ont été proposées, notamment par l'astronome Ian Ridpath, est que Halt et ses hommes avaient vu en réalité le phare de Orfordness, qui se trouvait à quelques miles de là. Mais Halt a répondu que cette explication était ridicule. Il connaissait bien le phare, savait où il se trouvait et l'avait bien repéré cette nuit-là.
De son côté, Nick Pope a réexaminé l'affaire alors qu'il était responsable des ovnis au ministère de l'Air, de 1991 à 1993. Il note, dans son livre Open Skies. Closed Minds (2), que le niveau de radiation cité par le colonel Halt était dix fois supérieur au niveau normal dans la campagne anglaise, après vérification qu'il a faite lui-même auprès du service de protection radiologique de la Défense. Il affirme que le secret a plané sur toute cette affaire :
" Un nuage de secret a recouvert Rendlesham. Le personnel de la base, comme le lieutenant Jim Penniston, a remarqué une activité inhabituelle dans les jours qui ont suivi. Des vols non annoncés sont arrivés et repartis. On a dit à Penniston de se tenir tranquille et d'oublier. Même Halt a été laissé dans le noir. Ses supérieurs lui ont dit de soumettre son rapport au ministère de la Défense, ce qu'il a fait. Mes prédécesseurs ne semblent pas avoir réagi, et Halt, très justement, trouve cela incompréhensible".
Apparemment, la trace de son rapport s'était perdue dans les méandres du ministère, et Halt, très surpris et irrité, attendait toujours une réaction quinze ans plus tard. Cette opinion de Nick Pope, qu'il y a eu un cover-up sur Rendlesham, est partagée par l'un de ses prédécesseurs au ministère de l'Air, Ralph Noyes, selon Timothy Good qui cite aussi la même opinion de Lord Hill-Norton, ancien chef d'état-major de la Défense britannique, dans son livre Beyond Top Secret (3).
En 1994, Charles Halt, alors à la retraite, a admis qu'il n'avait pas tout dit dans son rapport (il attendait un débriefing complet qui n'a jamais eu lieu), et il a donné de nouvelles informations à l'occasion d'une conférence à Leeds. Selon Graham Birdsall, organisateur de cette conférence, Halt lui a révélé, devant plusieurs témoins, qu'un avion de transport militaire américain Galaxy (gros porteur) avait atterri de nuit à Woodbridge à l'époque de l'incident et avait déchargé des hommes et du matériel dans une zone reculée de l'aérodrome. Un "groupe spécial" était allé directement à la zone de la porte Est. Personne n'a su ce qu'ils y faisaient et quels avaient été les résultats de leurs investigations. Halt était allé voir ce qui se passait - il était le commandant adjoint de la base ! - mais il avait été arrêté par des gardes en uniforme non identifié, qui lui avaient dit de ne pas s'occuper de cette affaire (4).
Pendant une vingtaine d'années, le ministère de la Défense britannique, le "MOD", s'est employé à minimiser l'incident en expliquant qu'il n'avait pas de "signification pour la défense" ("of no defence significance"). Or de nouveaux documents officiels ont fait surface en 2001, contredisant cette version. Ils prouvent notamment que l'enregistrement audio fait par l'équipe du colonel Halt avait été remis au général Charles Gabriel, chef de l'armée de l'Air américaine en Europe, en poste à la base de Ramstein en Allemagne, qui avait visité la base de Bentwaters. Cela s'était fait à l'insu des militaires britanniques (5)
Beaucoup d'autres témoignages ont été recueillis par les enquêteurs américains et britanniques, si bien que l'affaire de Rendlesham commence à ressembler à un Roswell britannique, selon le mot de Nick Pope. Elle s'avère bien plus complexe que le simple récit initial du colonel Halt, et certains aspects en sont encore obscurs. L'un des témoignages les plus intéressants demeure celui du sergent Penniston, que tous les enquêteurs qui l'on rencontré considèrent comme crédible. Il a raconté lors de l'émission de télévision Strange but True, à laquelle il avait participé avec le colonel Halt en 1994, et de nouveau lors de l'émission récente de BBC 3, qu'ils avaient beaucoup de mal à avancer, comme s'ils avaient rencontré une barrière invisible. L'air était rempli d'électricité, a raconté Penniston : "nous pouvions la sentir sur notre peau en approchant de l'objet. Une lumière blanche de grande intensité émanait du dessous de l'engin, qui était bordé par une lumière alternativement rouge et bleue". En haut sur le côté gauche, il y avait une inscription, des symboles qui lui paraissaient familiers, mais il ne savait pas pourquoi. La surface de l'objet paraissait moulée dans un matériau vitreux d'aspect noir-fumeux, sans aspérités. Les hommes de la sécurité ont observé ce spectacle pendant environ vingt minutes, après quoi l'engin a commencé à se déplacer en contournant les arbres, puis est parti à toute vitesse (6).
Un autre aspect, peut-être important et révélateur de toute cette affaire, est que, selon plusieurs témoins, des faisceaux de lumière provenant d'un ovni étaient allés frapper les bunkers renforcés contenant des armes nucléaires, du côté de la base proche de Bentwaters, et les avaient peut-être "affectées de quelque façon" (7).
Enfin, une partie très controversée de l'incident est rapportée par un autre témoin, l'ancien soldat de la base Larry Warren, dans son livre Left at East Gate (8), écrit avec l'enquêteur américain Peter Robbins. Il est certain que Warren avait participé à l'observation de la seconde nuit mais il en a fait un récit très surprenant. Selon lui, le colonel Gordon Williams (plus tard général de division), commandant de la 81eme unité tactique aérienne à Bentwaters/Woodbridge, serait venu sur place et serait entré en contact avec les êtres qui se trouvaient à l'intérieur de l'engin!
Son témoignage a été mis en doute, non seulement par le général Williams et le colonel Halt, mais aussi par l'excellente journaliste britannique Georgina Bruni, qui a refait toute l'enquête et l'a publiée dans son livre You Can't Tell the People (9). Elle a rencontré notamment le général Williams qui lui a confirmé qu'il n'était pas à Woodbridge à ce moment là. Son livre est au demeurant très positif sur l'authenticité de l'affaire. Ce qui semble certain, c'est que Larry Warren, qui avait bien participé à l'incident de la seconde nuit, avait subi ensuite un interrogatoire très dur de la part des enquêteurs militaires américains. D'autres témoins avaient été soumis au même traitement, comme on va le voir plus loin. Les pressions dont ils ont fait l'objet posent la question d'une possible manipulation des autorités militaires pour brouiller les pistes.
La thèse de Jacques Vallée dans Révélations
En France, le cas est connu surtout à travers le livre de Jacques Vallée, Révélations, dans lequel il nous livre son opinion :
"Pour ma part, je crois que la théorie la plus plausible, sur la base des faits actuels, est que les militaires américains ont développé un appareil ou une série d'engins qui ressemblent à des soucoupes volantes. Destinés principalement à la guerre psychologique, ils seraient en cours d'essais sur le personnel militaire. Si des fuites se produisent, la couverture de l'opération peut, tout simplement, consister en une déclaration semi-officielle selon laquelle l'objet en question était en fait un ovni" (10).
Curieuse explication. La thèse qu'illustre là Jacques Vallée, qu'il a soutenue par ailleurs dans de nombreux écrits, est que beaucoup d'observations d'ovnis sont en fait des mises en scène organisées par des services secrets militaires américains, pour d'obscures raisons, telles que des expériences de manipulation de l'opinion, ou un stratagème pour cacher des engins secrets qui ressemblent à des ovnis. Incidemment, Jacques Vallée a avancé de nouveau ce genre d'explication en 2002 pour expliquer les "crop circles", qui seraient selon lui des essais secrets d'armes à faisceau dirigé britanniques. Une hypothèse qui a été réfutée notamment, avec aisance, par le physicien Bruce Maccabee (voir la liste UFO Updates, 8 octobre 2002). Mais laissons de côté ce dossier très complexe et mystérieux des "crop circles" et intéressons-nous à une autre explication de Rendlesham, celle des voyageurs temporels (time travelers). Elle apparaît notamment dans des livres de Linda Howe et de Georgina Bruni.
"Révélations" sur des voyageurs temporels
Dans son livre Glimpses of Other Realities, Volume 2 : High Strangeness, Linda Howe cite le témoignage du sergent James Penniston. Il s'agit d'une séance d'hypnose réalisée en 1994 et enregistrée par l'enquêteur Benton Jamison, qui en a fourni une copie sur audiocassette à Linda Howe. Penniston s'est remémoré sous hypnose comment il avait subi, très rapidement après l'observation, une séance de "debriefing" menée par des agents spéciaux de l'AFOSI (l'agence d'enquêtes spéciales de l'armée de l'Air américaine), combinant l'hypnose et le penthotal (ils lui avaient fait signer une décharge les autorisant à le faire !). Linda Howe note que cela pouvait leur permettre d'effacer sa mémoire, et de la manipuler, au moins en partie (11)
Jim Penniston se rappelle s'être approché de l'ovni, alors qu'il était au sol, et avoir touché des "symboles " qui figuraient sur sa paroi, à la suite de quoi il avait reçu des "révélations" télépathiques. Selon celles-ci, les occupants de l'ovni n'étaient pas des extraterrestres, mais des humains voyageant dans le temps et venus d'un lointain futur (30 000 ou 40 000 ans !). Il a appris qu'ils viennent nous visiter, depuis longtemps, pour récolter nos chromosomes car ils sont en dégénérescence et sont devenus incapables de se reproduire. Leurs enfants ont des corps sans cheveux, la peau pâle et de grands yeux pour "récolter plus de lumière" car "l'avenir de la terre sera différent". Ils ne peuvent aller que dans le passé (et en voyageant à grande vitesse dans l'espace) mais peuvent cependant retourner dans leur époque avec ces précieux chromosomes.
Cette "révélation" faite sous hypnose présente bien des difficultés ! Elle pose le problème paradoxal du voyage dans le temps, bien connu des amateurs de science-fiction : si l'on modifie le passé, on modifie aussi l'avenir, ce qui est périlleux pour son existence même. En l'occurrence, ils révèlent à Penniston qu'ils ne peuvent aller dans leur avenir, et ne peuvent le modifier. Or on peut se demander si, en venant dans leur passé (notre présent) ils ne modifient pas leur propre avenir. Il y a là des paradoxes très troublants. Linda Howe, bien que méfiante au départ sur le risque de désinformation, semble pourtant accorder du crédit à cette extraordinaire révélation. Il faut reconnaître que cette hypothèse des voyages temporels n'est pas totalement exclue dans la physique la plus avancée. Mais il s'agit de spéculations très fragiles, comme l'explique par exemple un article du New Scientist du 20 septembre 2003, "No going back" ("Pas de retour"). On avait remarqué depuis longtemps que la théorie de la relativité générale ne semblait pas interdire de tels voyages, même si les difficultés à surmonter seraient considérables. Mais on sait aussi que la physique actuelle cherche à dépasser cette théorie pour arriver à une synthèse avec la physique quantique, qui serait la mythique "Théorie du Tout". L'une des principales voies de recherches actuelles est la famille de théories des "supercordes" qui suppose un espace à cinq dimensions ou plus. Or les études les plus récentes, dans ce cadre, semblent indiquer que de tels voyages temporels seraient impossibles, bien que la question reste encore ouverte.
Un autre aspect curieux de ces révélations du sergent Penniston est la suggestion, faite par les agents de l'AFOSI, que les militaires américains préfèrent des fuites éventuelles qui orientent les ufologues vers l'hypothèse extraterrestre, car elle serait moins choquante pour le public que celle des humains venus de notre futur (12). Il y a là une idée que l'on trouve aussi chez Jacques Vallée : ce n'est pas grave que les gens croient à l'hypothèse extraterrestre, et c'est une bonne manipulation pour cacher l'existence d'engins très secrets. Si l'on envisage une telle hypothèse, il reste alors à expliquer pourquoi les militaires américains et les agences gouvernementales s'acharnent, de toute évidence, à nier la présence extraterrestre depuis plus d'un demi-siècle !
Linda Howe cite d'autre part une lettre "supposée" émaner du ministère de la Défense britannique (date et adresse censurées) selon laquelle les êtres observés à Rendlesham (qui étaient sortis un moment de leur engin, selon des témoins) étaient petits - environ 1,50 m et avaient des mains à trois gros doigts avec un pouce opposable comme une pince (p 106). Linda Howe s'interroge avec pertinence sur cette évolution étrange de l'humanité dans 40 000 ans, mais elle ne se demande pas si, par hasard, ce serait l'histoire des time travelers qui serait fausse, et qui aurait été inculquée sous hypnose à Penniston. A ce sujet, celui-ci s'est rappelé qu'à un moment les agents de l'AFOSI s'étaient concertés entre eux pour choisir entre cinq scénarios à lui faire retenir ! (13). Penniston se rappelle qu'il s'agissait de changer les dates, pour semer la confusion. Il y a bien eu, effectivement, des divergences sur les dates entre les témoins qui ont créé un doute sur l'affaire. Mais ce n'était peut-être pas tout ?
Des témoins manipulés ?
Jim Penniston n'est pas le seul témoin à avoir subi des pressions de la part des services de sécurité. C'est le cas, répétons-le, de Larry Warren qui s'est plaint d'avoir été littéralement enlevé sur la base, d'avoir été entraîné dans un lieu souterrain et d'y avoir subi un interrogatoire dont il se souvient à peine. C'est aussi le cas de l'un des témoins de la seconde nuit, le sergent Adrian Bustinza, qui s'en est plaint notamment à Georgina Bruni. Il lui a raconté comment il avait été conduit par des agents en civil dans un local souterrain, où il avait subi un interrogatoire très traumatisant. A un moment donné, l'un des agents lui avait lancé : "les balles sont bon marché, dix centimes la douzaine" ("Bullets are cheap, a dime a dozen") ! (14). Par la suite il avait été surveillé et harcelé par l'AFOSI, et avait été dégradé alors qu'il était un bon sous-officier, et avait fini par quitter l'armée. Le récit de Bustinza, qui concerne la seconde nuit, est très intéressant. Selon lui, l'ovni était bien plus grand que celui de la première nuit, avec au moins 10 m de largeur. Il semblait se maintenir en vol stationnaire à environ 6 m (20 pieds) au-dessus du sol , et il y avait une sorte de brouillard jaune au sol. Il y avait au moins 20 à 30 personnes entourant l'ovni, y compris le colonel Halt. Il y avait même des gens prenant des photos et filmant l'événement ! Lorsque l'engin partit, il le fit sans bruit mais dans un souffle de vent frais. L'objet se sépara alors en trois différentes lumières qui partirent dans différentes directions !
Un autre détail troublant du récit de Bustinza est que l'observation avait eu lieu probablement le 29 décembre et non pas le 27. Ce détail, et quelques autres, comme le déballage de tout un matériel de l'avion Galaxy, suggère que l'affaire de Rendlesham pourrait être encore plus étrange qu'on le pensait. Une rumeur persistante est que l'ovni et les entités avaient été filmés, et que le précieux document avait été acheminé à Ramstein.
Se pourrait-il qu'il y ait eu, au cours d'une troisième nuit d'observation, non pas une mise en scène militaire à la Jacques Vallée, mais un contact, très secret, avec des entités non humaines ? L'hypothèse est évidemment très fragile. Si c'était le cas, pourquoi y aurait-on fait participer de simples soldats, qui risquaient de parler ensuite ? Larry Warren, répétons-le, se rappelle avoir assisté, avec d'autres soldats, à une étrange confrontation entre le colonel Williams et des entités non humaines qui étaient sorties de l'ovni. Bien entendu, le colonel Williams et le colonel Halt ont contesté cette histoire.
Des témoins qui ont vu l'ovni de près n'ont pas vu ces aliens. C'est le cas des trois hommes du premier incident, Penniston, Burroughs et Cabasang, mais aussi de deux témoins directs de la seconde nuit, Bustinza et Battram. En revanche, un témoin a raconté la même chose, sous le sceau du secret, à des amis civils locaux, quelques jours seulement après l'incident. Il se cache sous le pseudonyme de Steve Roberts et quelques personnes seulement connaissent son identité. Malheureusement, il a modifié plusieurs fois son témoignage, niant aussi bien l'ovni que les aliens, puis confirmant l'ovni mais niant les aliens, comme il l'a raconté à Georgina Bruni qui a réussi à le retrouver. Elle cite dans son livre un troisième témoin, du nom de Wayne, qui aurait vu lui aussi les aliens, mais dont on a perdu la trace. Un autre soldat, Steve La Plume, que Georgina Bruni a également rencontré et qu'elle considère comme crédible, lui a dit que son ami Warren lui avait aussi raconté son histoire quelques jours seulement après l'incident.
Une interprétation des êtres sortant de l'ovni
(Mufon UFO Journal)
Pour tenter de résumer les choses, disons que, dans cette affaire compliquée de Rendlesaham, il y a des points forts, tels que le mémo de Halt, ainsi que des témoins civils extérieurs à la base qui ont vu l'ovni, mais que plusieurs témoins militaires ont subi des interrogatoires et des manipulations qui ont pu altérer leur mémoire. Georgina Bruni cite dans son livre l'opinion d'un expert en désinformation : le meilleur moyen de mettre en doute une histoire est d'en mettre en circulation plusieurs versions contradictoires !
Agents du Pentagone, et risque de désinformation
Dans son livre You Can't Tell the People, Georgina Bruni cite une enquête réalisée par l'Américain Ray Boeche en 1985, sur Rendlesham. Lors de son enquête, il a été approché par deux agents du ministère de la Défense américain, qui lui ont développé toute une théorie selon laquelle l'ovni de Rendlesham était en fait une expérience militaire de manipulation, utilisant des techniques secrètes et sophistiquées de contrôle mental et d'hologrammes. Ray Boeche est resté sur ses gardes, suspectant une manuvre de désinformation. Georgina Bruni fait opportunément le rapprochement avec la théorie, très proche, de Jacques Vallée (15) , mais elle la met en doute car elle ne voit pas l'intérêt d'une telle mise en scène, surtout à proximité de bases aériennes nucléaires très sensibles, sur lesquelles il n'y avait aucun intérêt à attirer l'attention du public. L'existence d'un dépôt d'armes nucléaires était très secrète. A ce sujet, Graham Birdsall note que la base de Woodbridge-Bentwaters abritait à l'époque l'un des plus grands dépôts d'armes nucléaires de l'Europe de l'Ouest :
"C'était le secret le mieux tenu de tous, car la campagne pour le désarmement nucléaire était à son plus haut niveau, et c'était la base de la RAF à Greenham Common qui était le point focal des manifestations pendant la livraison des missiles de croisière américains".
Disons que, dans ce contexte, il aurait été parfaitement maladroit d'attirer l'attention sur Rendlesham avec une bizarre mise en scène ovni, dans le but de cacher l'existence d'on ne sait quels engins secrets ! Cependant, Georgina Bruni spécule ensuite, à partir de ces idées, sur les hypothèses de voyageurs temporels ou venant d'"autres dimensions". Ce curieux épisode, où entrent en scène deux agents secrets américains, nous ramène à un autre document reproduit par Linda Howe dans son livre, qui pose lui aussi la question du risque de manipulation.
Dans le livre déjà cité de Linda Howe, celle-ci reproduit intégralement une lettre que lui ont adressée en 1994 les deux agents secrets du Pentagone, ceux-là même qui avaient "informé" (ou désinformé?) Ray Boeche sur Rendlesham en 1992 (16). C'est justement Ray Boeche, contacté de nouveau par les agents, qui informe Linda Howe qu'elle va recevoir cette lettre. Celle-ci lui est adressée anonymement sous forme de disquette informatique, datée du 21 juin 1994. Dans cette assez longue lettre, les deux agents louent d'abord l'excellence de son travail, puis s'emploient à la convaincre que les aliens ne sont pas des extraterrestres, mais des "Entités Non Humaines", ou "NHE", qui viennent d'une autre dimension et ne cessent de nous manipuler depuis des milliers d'années, en nous faisant croire notamment, de nos jours, qu'ils sont des extraterrestres. Nos agents du Pentagone citent comme manipulations de ce type les mutilations de bétail, les enlèvements, le crash de Roswell. Ils ne posent pas expressément l'hypothèse des voyageurs temporels, mais Linda Howe (17) le fait en commentant la lettre, sans doute à la suite des révélations de Penniston.
Enfin, ces deux agents secrets recommandent vivement à Linda Howe les livres du Dr Jacques Vallée, notamment Passport to Magonia (1969. Trad. française : A la recherche des extraterrestres, 1972), et Messengers of Deception (1979. Trad. française : La grande manipulation, 1983), qui selon eux "s'approchent tant" de la vérité ! Linda Howe, manifestement flattée d'avoir reçu des éloges d'agents secrets du Pentagone, semble prendre à son compte les idées qui y sont présentées. Je tiens Linda Howe pour une enquêtrice remarquable, mais qui a été plus d'une fois visée par des actions de manipulation, telles que celles de Richard Doty, de l'AFOSI. Pour ma part, je ne peux que trouver toutes ces révélations fort suspectes. J'y vois, une fois de plus un dénominateur commun : la mise en doute ou la négation de l'hypothèse extraterrestre. Or c'est bien, je le rappelle, la ligne gouvernementale américaine depuis plus de cinquante ans. Et l'intervention avérée d'agents du Pentagone ne fait que renforcer le doute à leur sujet.
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Notes 1 UFO Magazine (britannique), "Britain's closest encounter", mai 2003.
2 Nick Pope, Open Skies, Closed Minds, Simon & Schuster, Londres, 1996.
3 Timothy Good, Beyond Top Secret, Sidgwick & Jackson, Londres, 1996, pp. 56 à 77.
4 The Unopened Files (publication de UFO Magazine), N° 1, 1996.
5 Georgina Bruni, "The Rendlesham Files", dans UFO Magazine, septembre 2001.
6 Timothy Good, Beyond Top Secret, p. 62.
7 Ibid., pp. 76-77.
8 Larry Warren et Peter Robbins, Left at East Gate, Michel O'Mara Books, Londres, 1997.
9 Georgina Bruni, You Can't Tell the People, Sidgwick & Jackson, Londres, 2000.
10 Jacques Vallée, Révélations, Robert Laffont , Paris 1922 (Ed. orig 1991), pp. 190, 191.
11 Linda Moulton Howe, Glimpses of Other Realities, Vol. 2, High Strangeness, publié par l'auteur, 1998, pp. 199 à 211. Site web : http://earthfiles.com/realxfiles
12 Ibid., p. 103.
13 Ibid., p. 105.
14 Georgina Bruni, You Can't Tell the People, p. 201.
15 Ibid., pp. 356 à 360.
16 Linda Moulton Howe, Glimpses of Other Realities, Vol. 2, High Strangeness, pp. 123 à 127.
17. Ibid., p. 125.