vendredi 22 novembre 2013

Les documents « Majestic 12 » et le nouveau livre de Jean-Gabriel Greslé


Les documents « Majestic 12 » et le nouveau livre de Jean-Gabriel Greslé
Gildas Bourdais, novembre 2013



Le nouveau livre de Jean-Gabriel Greslé 1942-1954. La genèse d’un secret d’état, paru à l’été 2013, repose principalement sur une série de documents américains controversés, apparus depuis la fin des années 80, souvent appelés « Majestic 12 », car le premier de la série, apparu en 1987, « révélait » la création d’un groupe d’une douzaine de hauts responsables par le résident Truman en 1947, surnommé « Majestic 12 », pour mener des études très secrètes à la suite de l’accident d’un ovni près de Roswell.

Le nouveau livre de Jean-Gabriel Greslé



Jean-Gabriel Greslé et moi sommes convaincus de la réalité de ce crash d’un ovni, récupéré et étudié secrètement par les militaires américains. Rappelons que cette découverte, annoncée le 8 juillet 1947 par un communiqué de presse de la base des « bombardiers atomiques » de Roswell, avait été démentie le soir même par la hiérarchie, et avait été oubliée. Cependant, à partir des années 70, des témoignages ont commencé à émerger, venant souvent « de l’intérieur » de l’appareil militaire. Des enquêtes ont été menées et des livres publiés, confirmant non seulement le crash de Roswell mais aussi les études très secrètes qui suivirent. Il faut dire néanmoins que, en dépit de nombreux témoignages concordants, cette histoire de crash n’est pas prouvée définitivement, et elle se heurte encore à beaucoup de scepticisme. J’ai raconté cela dans mon livre OVNIS. Vers la fin du secret ? (Editions JMG 2010), et dans plusieurs articles de ce blog sur Roswell.


Cela dit, il y a cet autre dossier, encore plus controversé, auquel s’est attaqué Jean-Gabriel Greslé, celui des documents dits « Majestic 12 », ou « MJ 12 », apparus anonymement à partir des années 80, qui font des révélations sensationnelles sur des ovnis accidentés et leurs occupants. J’en ai également raconté l’histoire dans mon livre de 2010 déjà cité. Ces documents étonnants, souvent entachés d’erreurs manifestes, ont été soutenus par quelques-uns, en partie ou en totalité. Mais ils ont suscité une violente polémique, au sein même de du milieu ufologique américain et international, comme le film de l’autopsie supposée d’un extraterrestre de Roswell, apparu à la même époque et rejeté depuis par presque tout le monde (le dossier est analysé dans mon livre Le crash de Roswell).

Que penser de ces documents « Majestic 12 » ? La première remarque à faire est qu’ils proviennent presque tous de sources anonymes et n’ont donc pas la force du dossier de Roswell, lequel repose sur des dizaines de témoignages connus et crédibles (un article récent du Fortean Times, revue britannique de tendance sceptique, vient même de le reconnaitre !). D’autre part, ils contiennent des révélations spectaculaires qui ont provoqué la suspicion des ufologues les plus sérieux aux Etats-Unis. On y voit là un risque de désinformation « amplifiante », selon la formule du COMETA, propagée par de faux documents pour déstabiliser tout le « dossier secret » des ovnis, à l’instar de l’étrange film de l’autopsie en 1995. C’est aussi mon opinion, mais il se peut qu’ils contiennent des éléments authentiques, dans une curieuse démarche de divulgation contrôlée, pourrait-on dire. Il est alors tentant d’essayer de démêler le vrai du faux.

Jean-Gabriel Greslé s’est lancé sur cette piste risquée dans son nouveau livre 1942-1954. La genèse d’un secret d’état. Je vais le commenter, mais je veux d’abord rappeler les étapes de la diffusion de ces curieux documents. Le premier, daté de 1952, était un « Briefing pour le Président nouvellement élu Eisenhower », arrivé en décembre 1984, anonymement, dans la boîte aux lettres de Jaime Shandera, ami de Bill Moore, celui-ci étant déjà connu pour son livre sur Roswell. Mais le premier à le diffuser fut l’auteur britannique Timothy Good, en 1987, dans son livre Above Top Secret. Good dit l’avoir reçu d’un agent de la CIA qu’il a toujours refusé de nommer. Du coup, l’équipe Moore-Shandera le publia à son tour peu après. Incidemment, Shandera aurait, selon certains, appartenu à la CIA…

Jaime Shandera, qui reçut le premier document « MJ 12 » par la poste

Une autre version du Briefing, plus récente, fut alors révélée, également en 1987. Elle avait été montrée en 1983 – sans lui donner une copie - à la journaliste Linda Howe par l’agent spécial Richard Doty, de l’AFOSI (Air Force Office of Special Investigations) sur la base de Kirtland, au Nouveau-Mexique. Pour une fois, on sait donc d’où il vient, et on voit ici le rôle curieux joué par certains services américains.

Richard Doty, agent de l’AFOSI

Ces deux documents ont suscité à l’époque une violente polémique, mais je saute cette première étape pour ne pas alourdir l’article et je renvoie à mon livre OVNIS. Vers la fin du secret ? (JMG, 2010) pour l’histoire plus détaillée. La suite est extraite du chapitre 7 « Révélations spectaculaires et désinformation », pages 263 à 270, avec quelques légères retouches.

1992-1993 : Le “Manuel d’opérations spéciales SOM1-01” relance la polémique

Après un temps mort, la saga des documents “Majestic 12” renaît de ses cendres à partir de 1992, pour aboutir à une véritable avalanche en 1998-1999. Entre-temps, bien des choses se sont passées en matière de “révélations” sensationnelles, mais avant d’y venir, finissons de raconter cette curieuse histoire, quitte à faire une entorse à la chronologie des faits. Le physicien Stanton Friedman, devenu l’un des ténors de l’ufologie américaine avec ses enquêtes sur Roswell et sur le premier Briefing Document, a détaillé la suite des événements dans son livre
Top Secret Majic,paru en 1996 (5).


Dans un premier temps, un chercheur californien jusque-là peu connu, Timothy “Tim” Cooper (sans rapport avec William “Bill” Cooper qui va apparaître plus loin), communique à Friedman en 1992 plusieurs documents touchant à Majestic-12, dont un mémorandum pour le Président Harry Truman signé de l’amiral Hillenkoetter et daté de février 1948. Friedman a confiance en Tim Cooper, qu’il connaît. Celui-ci a été très actif pour obtenir des documents officiels en vertu de la loi FOIA, et il a des relations dans le milieu militaire. C’est son propre père, responsable en 1947 du service d’imprimerie à la base d’Alamogordo (White Sands), qui avait eu à imprimer un rapport hautement secret sur une soucoupe accidentée ! Cependant, Friedman se méfie, car ces documents lui paraissent “trop beaux pour être vrais” (6). De plus, une invraisemblance lui saute aux yeux. L’amiral annonce à Truman qu’il va lui envoyer régulièrement des brochures techniques sur les soucoupes étudiées. En quoi cela peut-il intéresser le Président des États-Unis ? Puis Cooper lui envoie d’autres documents qui sont manifestement faux. Que se passe-t-il donc ?

L’affaire des documents “Majestic-12” rebondit spectaculairement lorsqu’un film non développé arrive en 1994 dans la boîte aux lettres d’un autre ufologue, Don Berliner, du Fund for UFO Research (FUFOR), groupe réputé pour son sérieux. Développé, le film contient une vingtaine de pages d’une brochure technique intitulée “SOM 1-01. Groupe Majestic-12. Manuel d’opérations spéciales” (SOM : Special OperationsManual) (7).

Le « manuel d’opération spéciales SOM 1-01 »

Plusieurs chercheurs, dont le physicien Bruce Maccabee, également du FUFOR, s’attèlent à la tâche de reconstituer le texte, peu lisible sur les photos, allant jusqu’à le recomposer dans le style de l’époque. C’est ce texte recomposé qui figure dans le livre de Stanton Friedman, qui soutient l’authenticité du document. La découverte paraît d’importance, mais les critiques ne tardent pas à pleuvoir. L’un des plus féroces, Kevin Randle (décidément, Randle et Friedman, qui étaient concurrents sur Roswell, ne s’aiment pas) fait savoir qu’il a trouvé le même document, en libre diffusion, dans une armurerie ! Le marchand en ignorait la provenance. Randle n’a pas dit si on le trouvait dans d’autres magasins. Encore un cas de fuite organisée ?
Plus sérieusement, les critiques portent sur la forme et le contenu (notamment sur l’absence de codes et numérotations qui devraient figurer sur un document aussi secret), et elles s’accumulent au point que le FUFOR lui-même publiera une “déclaration conjointe” (avec le MUFON et le CUFOs), rejetant solennellement ce document, qualifié par eux de faux : « Nous croyons que ce document est un faux, conçu pour égarer le public et pour implanter de fausses informations dans la communauté de recherche ufologique, par une personne ou des personnes dont les motivations sont inconnues » (8).
Sur le fond, cette brochure paraît bizarre, mélangeant des directives sur la manière d’emballer les pièces avec des informations sur les “entités biologiques extraterrestres” (EBE) et sur la technologie extraterrestre. Non crédible, décident les ufologues sérieux. Cela dit, les informations sur l’existence de deux types d’entités extraterrestres apparaissent pour la première fois et, vraies ou fausses, méritent d’être signalées. Une fois de plus, nous avons là des informations qui sont peut-être vraies en partie.

Le manuel SOM1-01 décrit deux types d’EBE (« Entités biologiques extraterrestres ») :
– Les EBE de type 1 sont des humanoïdes d’apparence plus humaine que la description très popularisée des “Petits Gris”. On pourrait même, de loin, les prendre pour des Orientaux. Hauts de 1,50 à 1,60 m, ils sont proportionnés comme nous, avec la tête un peu plus grosse, cependant, et sans cheveux. Leur teint est très pâle, Leurs yeux sont en amande mais petits, leur nez est long et mince, leur bouche plus large que la nôtre, mais sans lèvres. Ce détail du long nez est à souligner : les extraterrestres qui auraient atterri à Holloman avaient eux aussi un long nez, mais ce ne sont peut-être pas les mêmes! Leur musculature est bien développée, leurs mains sont petites, avec quatre doigts sans pouce opposable.
– Les EBE de type II ressemblent beaucoup plus à la description “classique” des “Petits Gris” : ils sont hauts de 1 m à 1,30 m, très minces, la tête proportionnellement beaucoup plus grosse, les yeux très grands, noirs et bridés, deux petites fentes en guise de nez, et pas d’oreilles externes. Leur peau est de couleur gris bleu pâle, très fine et lisse. Les mains, au bout de longs bras, ont quatre doigts, dont un pouce opposable.
Il n’est pas dit, dans ces brèves descriptions, s’ils sont sexués, mais l’impression qui en ressort est que les EBE II, tout au moins, pourraient être des sortes d’ “ androïdes”, des créations de laboratoire. Linda Howe, qui a commenté ces descriptions dans son remarquable livre Glimpses of Other realities. Volume II : High Strangeness, paru en 1998 (9), signale que c’est l’opinion de quelques informateurs gouvernementaux (insiders) qu’elle a rencontrés. Selon eux, ces entités de type II auraient été créées par des “intelligences plus avancées” - peut-être les EBE de type I ? - pour travailler sur notre planète ! (10).
Une autre information intéressante de Linda Howe est que Don Berliner avait obtenu en janvier 1993 une autre copie du manuel SOM1-01 par le canal d’un employé de la NASA. Linda Howe elle-même a eu confirmation de l’existence du manuel par un ancien employé de la CIA qui avait eu en main une version de 1970. Incidemment, la version en circulation ne contient, sans doute, que quelques extraits, ce qui expliquerait son caractère décousu. Les sceptiques l’ont peut-être enterré un peu vite.

1998-1999 : une avalanche de nouveaux de documents

Les critiques virulentes contre le document SOM1-01 sonnaient-elles le glas de l’affaire Majestic-12 ? Pas du tout, car une nouvelle vague, plus importante, ne tarde pas à arriver : un premier lot de 125 pages en 1998, puis un paquet plus important encore en 1999, le total atteignant alors près de 2 000 pages. Depuis lors, d’autres documents ont encore fait leur apparition, mais en moins grand nombre. Récemment, sont apparues quelques lettres supposées du Président Roosevelt, que présente Jean-Gabriel Greslé dès le début de son livre et qui font encore rebondir le débat, comme on va le voir plus loin.

Le contenu du premier lot, de 1998, porte toujours sur la découverte et l’étude secrète de plusieurs ovnis accidentés, à partir de 1947. Ce sont le Dr (physicien) Robert Wood et son fils Ryan qui en dévoilent l’existence à une conférence à New Haven le 11 octobre 1998.

Le Dr Robert Wood

Le Dr Wood est l’un des chercheurs les plus réputés en ufologie. Docteur en physique de l’université Cornell, il a fait toute sa carrière à des postes de responsabilités dans l’industrie aérospatiale américaine, notamment la société McDonnell-Douglas. Son fils Ryan est un ingénieur en informatique qui a travaillé dans de grandes entreprises : Intel, Digital, Toshiba. Les Wood étudiaient depuis un certain temps ces documents qui leur avaient été fournis par le chercheur californien Timothy Cooper. Celui-ci dit les avoir reçus d’un agent des services secrets qu’il appelle “Cantwheel”, mais dont il ne donne pas l’identité véritable. Ces documents sont rendus disponibles en novembre sur internet, sur le site de Joseph Firmage, un jeune homme d’affaires qui a fait fortune dans l’informatique à la “Silicon Valley”, et qui s’est reconverti de manière spectaculaire dans la recherche sur les ovnis (11). Signalons qu’il s’en est maintenant retiré et n’a ainsi fait qu’une brève carrière ufologique. Pour sa part, le Dr Wood les publie en 1998 sous forme d’une brochure de 190 pages de grand format, The Majestic Documents, reprenant également les documents précédents (12). J’ajoute ici que son fils Ryan Wood me l’a offert lors de la conférence internationale de Laughlin, au Nevada, en mars 2000, à laquelle j’étais invité pour présenter le rapport COMETA.

Ces documents sont également visibles sur leur site web, à :
http://www.majesticdocuments.com/documents/pre1948.php
Ryan Wood en a également parlé dans son livre Magic Eyes Only paru en 2005.

Une fois de plus, les critiques pleuvent. Certaines sont graves et il devient vite évident que ces documents sont pour la plupart, sinon en totalité, des fabrications, en dépit des arguments de Wood père et fils. Il serait beaucoup trop long de les détailler, mais donnons quand même ici une idée de ce débat, ainsi que du contenu des documents, qui n’est pas non plus sans intérêt. Le premier document est une curieuse étude, datée de juin 1947 et signée par les deux grands physiciens Robert Oppenheimer et Albert Einstein, intitulée “Relations avec les habitants de corps célestes”. Le texte est intéressant, mais comporte des fautes bizarres, dès le titre. Le mot céleste est écrit en anglais “celestrial” au lieu de celestial, ce qui fait douter (Greslé a gommé cette erreur dans son livre). Dans une analyse convaincante, le physicien Bruce Maccabee déclare le document faux. A cela Wood répond qu’Einstein, le véritable auteur, ne maîtrisait pas bien l’anglais, et sa secrétaire non plus !

Les documents suivants tournent autour de la découverte d’un ou plusieurs véhicules accidentés en juillet 1947. Il y est question, bien sûr, du crash de Roswell, mais les choses se compliquent un peu. Ce sont :

- une instruction (Field Order) donnée début juillet à une unité spécialisée, la “Interplanetary Phenomenon Unit (IPU)” de se rendre immédiatement sur les lieux ;

- le “résumé” de l’IPU, document de sept pages daté du 22 juillet. Celui-ci décrit sommairement la découverte de deux objets volants entre le 4 et le 6 juillet, l’un près de Corona, site “LZ-1” (LZ : Landing Zone) – on reconnaît là le ranch de Brazel - et l’autre à environ 30 km au sud-est de Socorro, près d’Oscura Peak (LZ-2), proche de « Trinity Site, site de l’explosion de la première bombe atomique. Sur ce deuxième site, on a trouvé cinq cadavres, d’environ 1,50 m de haut, la peau gris rose, pas de cheveux, le corps mince, vêtus d’une combinaison ajustée, à l’épreuve du feu. Ils sont sexués mais de manière peu visible. D’autres corps ont été trouvés près du site LZ-1, ainsi que des parties de corps d’animaux à l’intérieur de l’appareil à LZ-2. Peu après la découverte, quatre techniciens sont tombés gravement malades et trois sont morts d’hémorragie ;

- une instruction donnée le 8 juillet au général Nathan Twining de se rendre à White Sands pour faire une évaluation des ovnis qui y sont conservés ;

- un rapport de Twining du 16 juillet, de trois pages, intitulé “Air Accident Report”, qui décrit la soucoupe trouvée près de Victorio Peak (site absent de la carte routière du Nouveau-Mexique : il faut sans doute comprendre Oscura Peak). L’ovni est en forme de “beignet” d’environ 10 m de diamètre (35 pieds). A l’intérieur, un compartiment suggère la présence possible d’un “moteur atomique”. Les scientifiques allemands de Fort Bliss et White Sands (c’est là qu’était notamment von Braun) n’ont pu identifier cet appareil comme un engin secret humain. Selon Oppenheimer et von Karman, c’est le corps même de l’appareil qui pourrait faire partie du système de propulsion (une idée qui figurait déjà dans le livre du colonel Corso : l’appareil pourrait se charger électriquement…) ;

- un mémorandum du CIG (“ Central Intelligence Group”, précédant la CIA qui va être mise en place le 18 septembre, le même jour que l’US Air Force). Daté du 19 septembre, et signé Hillenkoetter (Directeur du CIG puis de la CIA dans la foulée), ce texte d’une seule page dévoile l’existence d’un troisième site, à 50 km (30 miles) à l’est du terrain d’aviation d’Alamogordo (plus tard Holloman), découvert le 5 juillet !

- vient ensuite un “Mission Assessment”, de 19 pages, daté du 19 septembre 1947, intitulé « Evaluation d’une mission de récupération d’un aérodyne lenticulaire… », qui inaugure le sigle “ULAT” pour désigner les ovnis (“ Unidentified Lenticular Shaped Aerodyne” ). Là, il y a un petit problème : les deux zones de crash sont inversées. LZ-1 est placée près de Socorro. Dans ce « Mission assessment », apparaît une liste de matériaux qui auraient été trouvés dans ULAT-1 : notamment de l’uranium 235 « sous forme métallique », et de la « poudre » de plutonium ! Ce sont les matériaux fissiles qui servent à faire les bombes atomiques, et nous allons voir plus loin comment Jean-Gabriel Greslé échafaude dans son livre une théorie étonnante à ce sujet.

- enfin, une pièce importante, non datée mais écrite d’après le contexte en 1952, le “Premier rapport annuel” du Groupe Majestic-12. De nouvelles précisions sont apportées, sans toutefois clarifier complètement ce scénario d’accidents en série. On y évoque l’éjection à haute altitude d’un “cylindre de sauvetage” (escape cylinder) à la suite d’une collision entre deux soucoupes d’origine interplanétaire. Des cinq corps retrouvés, deux étaient dans le cylindre. Mais la suite n’est pas claire, envisageant l’hypothèse assez incroyable d’une collision avec un appareil expérimental (on a observé la fusion de trois spots radar). Mais après tout, qu’en savons-nous ?

Ces pages du « Premier rapport annuel » ont été passées au crible par les sceptiques et, dès les premiers jours a éclaté une première grenade, le mot “retro-virus” qui apparaît dans ce document censé dater de 1952. Or le mot n’existait pas encore à cette date. Le physicien Jack Sarfatti, qui se situe sur l’aile “avancée” de l’ufologie américaine (il a eu une rencontre rapprochée impressionnante dans son enfance) a recommandé aux Wood d’admettre l’erreur, mais ils n’ont pas voulu reculer, même sur ce point. Un autre gros pépin a été la mention d’une vieille légende ufologique, la disparition d’un régiment Néo-Zélandais à Gallipoli, dans les Dardanelles en 1915. Or il a été prouvé que cette histoire était fausse. “Erreur fatale”, proclame alors Barry Greenwood, de plus en plus sceptique, dans son bulletin Just Cause !
Pour couronner le tout, Timothy Cooper finit par être soupçonné de les avoir fabriqués, y compris le document SOM1-01. Le Britannique Timothy Good dévoile en septembre 1999 que certains défauts typographiques apparaissent à l’identique sur des lettres qu’il a reçues de Cooper. Est-ce le coup de grâce ? Certains l’annoncent déjà, comme Jan Aldrich, ancien militaire très hostile à toutes ces histoires (Roswell compris), qui s’exclame sur internet : “Clouons tous ces dindons ! (Let’s nail these turkeys!). Cela dit, sur cette question des défauts typographiques notés par Timothy Good, le Dr Wood réplique qu’il a fait étudier le problème par un expert, or celui-ci n’a pas jugé l’argument décisif, car ce type de défaut peut être commun à de nombreuses machines.
Ce document très contesté ne figure pas dans le livre de Greslé. Je lui en ai parlé à l’occasion du repas ufologique parisien du 5 novembre 2013, où il a présenté son livre. Il ne le connait pas et ne semble pas être au courant de cette polémique. Incidemment, je corrige ici une petite erreur de Greslé : il cite Kevin Randle (page 9) comme l’auteur du livre Clear Intent de 1984, dont il fait l’éloge à juste titre, mais il a en fait pour auteurs Lawrence Fawcett et Barry Greenwood (bien cités d’ailleurs en bibliographie).

Précisons que ces trois excellents auteurs sont aussi sceptiques les uns que les autres sur ces documents. Voir à ce sujet le livre sérieux de Kevin Randle A History of UFO Crashes et son chapitre « The Majestic-Twelve Hoax » (Avon Books, 1995).


Si ces documents sont faux, vient alors la question : qui les a donc fabriqués et dans quel but ? La plupart des sceptiques ne poussent pas très loin la réflexion : pour eux, ce sont des faux fabriqués par des escrocs qui veulent faire croire à toutes ces calembredaines ! Qui croire ? En réalité, cette énorme quantité de documents apparus de manière mystérieuse ces dernières années pourrait bien illustrer ce processus de divulgation progressive de l’information, déjà évoqué plus haut, qui serait poursuivi par certains services secrets désireux de débloquer à terme le verrou du secret, mais sans provoquer une explosion médiatique. Le jeu consisterait à toujours maintenir le doute en fabriquant des documents délibérément entachés d’erreurs. Ainsi, de l’information est mise en circulation mais on empêche l’opinion de s’emballer. On pourrait comparer cela aux barres de contrôle d’une pile atomique qui l’empêchent d’exploser (si tout va bien).

Au congrès international de Laughlin, de mars 2000 au Nevada, les Wood père et fils ont encore défendu avec une belle énergie leur point de vue radical, à savoir que ces documents sont essentiellement authentiques. Ils sont d’ailleurs attelés à une lourde tâche, l’analyse de plus de mille pages de nouveaux documents qu’ils ont reçues de Timothy Cooper en 1999, et qu’ils ont l’intention de divulguer progressivement sur internet. J’ai soumis à Ryan Wood cette idée de divulgation progressive avec des erreurs délibérées, mais je ne l’ai visiblement pas ébranlé.
Il ne semble pas que la question ait beaucoup avancé depuis lors, à l’exception des lettres supposées du Président Roosevelt, dont nous allons parler. L’autre hypothèse, plus brutale, reste bien sûr celle de la désinformation “amplifiante”, pour discréditer l’ufologie. Celle-ci semble être pertinente dans d’autres cas, comme l’affaire Bennewitz, et quelques autres épisodes de révélations trop sensationnelles, qu’il faut rappeler maintenant, en revenant en arrière au début des années quatre-vingts (voir mon livre de 2010 pour ces autres aspects).




La nouvelle thèse développée en 2013 par Jean-Gabriel Greslé

Venons-en maintenant au livre de Jean-Gabriel Greslé de 2013, 1942-1954. La genèse d’un secret d’état. Disons tout de suite qu’il y développe une thèse pour le moins hardie : les Américains auraient trouvé, dès 1942, de l’uranium 235 et du plutonium dans une soucoupe écrasée, qui leur auraient servi pour fabriquer leurs bombes atomiques de 1945, et même peut-être pour construire la première pile atomique en 1942, à Chicago !
Comment arrive-t-il à une aussi étonnante hypothèse ?

Son point de départ est la mystérieuse attaque aérienne de Los Angeles dans la nuit du 25 février 1942. Cet incident est connu et ne fait pas de doute. Un ou plusieurs appareils inconnus étaient restés longuement en point fixe au-dessus de la ville et l’on avait tenté de les abattre sans succès. Avec le recul, l’hypothèse d’une première grande manifestation d’ovni paraît plausible aujourd’hui. Le général Marshall, chef d’Etat-Major, avait fait dès le lendemain un rapport sur l’incident au président Roosevelt, qui a été déclassifié en 1972, comme le rappelle Greslé dès le début de son livre.

Le général Marshall

Mais il n’est pas encore question de crash d’ovni dans ce mémo. L’hypothèse d’un double crash d’ovnis, qui auraient eu lieu lors de cette attaque, prend forme avec de nouveaux documents « Majestic 12 ». Il s’agit d’abord d’un mémo top secret signé de Roosevelt, adressé à Marshall et daté du 27 février, également reproduit par Greslé (pages 17 et 18). Roosevelt, répondant à Marshall, y évoque brièvement des « secrets atomiques découverts en étudiant des engins célestes ». Soulignons que c’est écrit deux jours seulement après le après le « raid » de Los Angeles. Puis Greslé cite un autre document (pages 20 et 21) qui est une véritable bombe. C’est un nouveau mémorandum du général Marshall au président, daté du 25 mars, qui révèle que les militaires ont trouvé deux aéronefs, manifestement d’origine non-humaine, l’un par la Marine au large de la côte californienne, et l’autre par des commandos aériens dans les montagnes de San Bernardino, à l’est de Los Angeles ! Roosevelt y faisait-il déjà allusion dans son mémo du 27 février ? Et comment le savait-il ? Ou parlait-il d’autre chose ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas clair.

Ces « révélations sont sensationnelles, mais les documents sont-ils authentiques ? Quelques ufologues les ont reçus, anonymement, par la poste en provenance de Sacramento en Californie, comme le raconte Ryan Wood dans son livre de 2005 Magic Eyes Only (p. 2).


Ce sont de mauvaises photocopies, et il y a lieu, naturellement, d’évaluer avec prudence leur crédibilité… Pour sa part, Greslé pense que la Marine avait récupéré son ovni en 1941. Il révèle la source vers la fin du livre (page 278) : c’est le mystérieux « Dr Michael Wolf » qui l’a dit. Alors là, ma prudence ne fait que s’amplifier car il se trouve que je le connais un peu, si c’est bien lui dont il s’agit. Il avait fait des révélations sensationnelles dans les années 90, racontant qu’il avait deux doctorats (Stan Friedman, très sceptique comme beaucoup d’autres ufologues, a vérifié qu’il n’y en a aucune trace), et qu’il avait travaillé avec les « Gris » dans la base mythique de Dulce (dont personne n’a apporté une preuve qu’elle existe) ! J’avoue que j’avais voulu croire un peu à ce témoin, sur la base de témoignages privés (je lui avais même téléphoné chez lui à Hartford, où il était gravement malade. Il est maintenant décédé), mais j’ai changé d’avis : voilà une source fragile s’il en est… Voir mon livre de 2010, chapitre VII (page 309 pour le « Dr » Wolf).

Le « Dr » Michael Wolf (avec son autorisation de reproduction)

Ces « révélations» sur des crashs d’avant 1947 sont très fragiles, on le voit, mais on peut en citer d’autres qui le sont un peu moins, que l’on trouvera aussi dans mon livre. Peut-être un crash au Texas, à Cape Girardeau en 1941, et peut-être un autre, pendant la guerre en Grande-Bretagne (date et lieu non précisés) qu’auraient récupéré les Américains, selon la journaliste Dorothy Killgalen. Si cela est vrai, les Américains auraient eu deux ovnis dès les années de guerre, ce qui expliquerait d’ailleurs leur réaction rapide à Roswell en 1947. Justement, venons-en maintenant à l’affaire de Roswell, autre étape du scénario de Greslé.

On l’a vu, le document cité plus haut « Mission Assessment » de septembre 1947 donne la liste des matériaux trouvés en 1947 dans l’engin censé avoir été récupéré à Oscura Peak, (tout près de « Trinity Site », lieu de l’essai de la première bombe atomique deux ans plus tôt). On y aurait trouvé notamment de l’uranium 235 et du plutonium (en poudre). Curieuse « coïncidence atomique ». Faut-il le rappeler, ce sont des matériaux très radioactifs et dangereux à manipuler ! Si vous respirez une petite dose de plutonium, vous êtes assuré d’une mort rapide par cancer du poumon. Espérons que les équipes de récupération de l’épave étaient bien protégées… Sans oublier le risque de « criticité », c’est-à-dire de masse critique à partir de laquelle on risque une réaction en chaine explosive : cinq kilos pour le plutonium, quinze kilos pour l’uranium 235. En 1945, ces charges étaient transportées par moitiés dans des caissons en plomb.
Un autre document me tracasse. Le mémorandum du CIG (Central Intelligence Group), daté du 19 septembre et signé de l’amiral Hillenkoetter (bientôt directeur de la CIA), révèle un troisième site de crash, découvert le 5 juillet dans la région, à 30 miles à l’est d’Alamogordo. Cela fait vraiment beaucoup de crashes, en plus de Roswell, presque à la même date et dans la même région ! Cette multiplication des crashs, cités dans des documents reçus anonymement par des ufologues, pourrait-elle être un écran de fumée pour mettre en doute le vrai crash, celui de Roswell ?


Et voici maintenant la théorie étonnante de Greslé. Il suppose qu’on avait trouvé aussi de l’uranium et du plutonium dans les ovnis de 1941 et 1942, et qu’ils avaient servi pour faire les bombes de 1945, et même la pile atomique de 1942 à Chicago !!
Quelle est la vraisemblance d’un tel scénario ? En premier lieu, les Américains avaient beaucoup d’uranium. Il y avait notamment un stock important de minerai d’uranium entreposé dans le port de New York, à Staten Island, provenant du Congo et livré par les Belges au début de la guerre. Il y avait largement de quoi construire la première pile atomique d’Enrico Fermi en 1942 à Chicago, puis de lancer, à partir de 1943, l’usine de séparation isotopique de l’uranium (pour extraire l’U 235) à Oak Ridge dans le Tennessee, et produire du plutonium dans les huit réacteurs atomiques construits à Hanford, près de Seattle.

L’énorme usine de Oak Ridge

L’usine atomique de Hanford



Cette histoire est bien connue aujourd’hui. Pas besoin, pour tout cela, de trouver de l’uranium 235 et du plutonium en 1942 dans une soucoupe ! En outre, s’il est vrai que le plutonium était un élément artificiel, il était déjà bien connu des physiciens : son caractère fissile (élément 94) avait été découvert en Grande-Bretagne, et il avait été isolé par Glenn Seaborg dès le début de 1941 à l’université de Californie.


Tout cela étant dit, je maintiens mon opinion, d’accord malgré tout, sur ce point, avec Jean-Gabriel Greslé : ces documents « Majestic 12 » sont bien trop complexes pour être de simples canulars, et leurs auteurs sont des connaisseurs « de l’intérieur ». Je crois qu’ils poursuivent peut-être un objectif de divulgation progressive, tout en laissant des gages aux sceptiques, avec des erreurs délibérées, pour pouvoir les mettre en doute. Ryan Wood cite, à la fin de son livre Magic Eyes Only (page 252), une lettre de « Cantwheel » adressée à Tim Cooper en 1996, peu de temps avant sa mort, qui se terminait par ce conseil : « Ne croyez personne complètement ! » (« TRUST NO ONE COMPLETELY ! »).


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Notes de mon livre OVNIS. Vers la fin du secret ?

5. Stanton Friedman, Top Secret/Majic, Marlow he & Company, New York,
1996.
6. Ibid., p. 150.
7. Les principaux documents relatifs à “Majestic 12” figurent dans le livre du Dr
Robert Wood et de son fils Ryan Wood: The Majestic Documents, 1998. Publié
par Wood & Wood Enterprises, PO Box 2272, Redwood City, CA 94 064-2272,
USA. Voir aussi leur site internet
http ://www. majesticdocuments. com
Le document “SOM 1-01” a été reproduit initialement dans le livre de Stanton
Friedman Top Secret/Majic (voir note 5). Il est également reproduit et commenté
dans le livre de Linda Moulton Howe Glimpses of Other Realities. Volume II:
High Strangeness
.
8. Voir message sur la liste “UFO Updates” “Joint Statement On SOM-01-1
Manual” du 24 mars 1999. (archives sur le site “UfoMind”). À noter une erreur
dans le titre: SOM-01-1 au lieu de SOM 1-01.
9. Linda Howe, Glimpses of Other Realities, Volume II : High Strangeness,
1998.
10. Ibid., p. 75.
11. Site ISSO sur internet, de Joseph Firmage: http ://www. isso. org
12. Voir note 7.

mardi 8 janvier 2013

Le Rapport COMETA et Wikipédia





Le Rapport COMETA et Wikipédia



Le Rapport COMETA maltraité sur Wikipédia


L’encyclopédie Wikipédia est une belle réalisation en général, mais qui a un parti pris fortement sceptique sur les ovnis. Il semble que ce soit aussi le cas sur d’autres sujets considérés comme « irrationnels », et dès lors mal vus dans le monde intellectuel et scientifique, mais ne nous engageons pas dans un aussi vaste débat. Ayant pris la défense du rapport du COMETA, intitulé Les OVNI et la Défense. A quoi doit-on se préparer ?, lors de sa publication en juillet 1999, pour répondre à certaines critiques virulentes de sceptiques, j’y ai gardé quelques amis. Or ceux-ci m’ont signalé récemment un article sur Wikipédia présentant leur rapport de manière sceptique et biaisée. L’ayant constaté moi-même, j’ai essayé d’y apporter deux corrections modérées pour rétablir un équilibre, mais elles ont été aussitôt censurées, à trois reprises par une main anonyme. Je me suis alors inscrit à Wikipédia et j’ai demandé de l’aide en expliquant la situation, mais un administrateur m’a juste conseillé de me mettre d’accord avec le censeur anonyme ! J’ai compris qu’il n’y avait pas grand chose à faire dans une telle galère, et je vous propose donc ici mon propre article, s’inspirant de mon livre de 2010 OVNIS. Vers la fin du secret ?.




Couverture de l’édition initiale de 1999



Pour bien comprendre ce blocage sur Wikipédia, voici les deux petites corrections que j’ai tenté, sans succès, d’ajouter à l’article, après quoi je vous invite à lire ici le mien.
J’ajoute que, ayant revisité l’article, j’ai vu qu’il a été élagué mais comporte encore des remarques&nbsp dépréciatives.


Voici mes deux corrections, en gras, retoquées anonymement sur Wikipédia, telles qu’insérées dans le texte de l’article :


1) Tentative de corriger deux citations dépassées, voire erronées:


L'association prétend sensibiliser les pouvoirs publics au phénomène OVNI, et cela alors que le rapport Condon conclut à l'absence de preuves de l'existence d'engins extraterrestres et que le SEPRA assimile les cas ovni à des rentrées de satellites.
Cependant, le SEPRA a été remplacé en 2005, au CNES, par le GEIPAN qui a admis, la même année, un pourcentage de 13 % d'observations inexpliquées (les « PAN D »), et même plus par la suite. Il est aujourd’hui évalué à 22% sur le site du GEIPAN. Cela est expliqué sur le site web du CNES ainsi que par M Yves Sillard, ancien directeur du CNES, et président du comité de pilotage du GEIPAN, dans son introduction au livre collectif qu'il a dirigé: Phénomènes aérospatiaux non identifiés (Le Cherche Midi, 2007).


2) Ma tentative de corriger l’image outrageusement négative donnée dans l’article (en gras):


Quelques personnes privées amateures d'ovni ont envoyé au Président de la République Jacques Chirac et au Premier Ministre Lionel Jospin en 1999 un rapport privé appelé « rapport COMETA » et cela sans qu'aucune demande de leur part n'ait été faite. L'opération médiatique ainsi réalisée a permis de le lancement d'un ouvrage à sensation intitulé Les OVNI et la Défense : À quoi devons-nous nous préparer ? Le 16 juillet, il a fait l'objet d'un hors série du magazine VSD, un tabloïd français. Aucune suite n'a été donnée à ce document et aucune source scientifique secondaire ne cite ce document.
Cependant, le rapport COMETA a été publié, pendant un certain temps, sur le site du GEIPAN, le nouveau service du CNES. Il a eu un grand retentissement à travers le monde et est référencé dans de nombreux livres, sites web et articles, dont celui, déjà cité, d'Yves Sillard. Aux Etats-Unis, il faut citer au moins le livre de Leslie Kean : "UFOs. Generals, pilots and government officials go on the record" (Harmony Books, 2010) dans lequel figure un entretien avec le général Letty.



Mon article sur le Rapport COMETA



Voici maintenant mon article sur le Rapport COMETA, reprenant en partie mon livre de 2010 Ovnis. Vers la fin du secret ?, article que je n’essaie même pas de passer sur Wikipédia.


Un événement inattendu s’est produit en France en 1999. Sans la moindre annonce préalable, paraissait en kiosque le 16 juillet 1999 un rapport de 90 pages sur les ovnis, intitulé Les ovnis et la défense. À quoi doit-on se préparer ? Ce document, publié en pleine période de vacances, était à vrai dire plutôt austère, tant dans sa mise en page que dans son contenu. Signé collectivement par des personnalités de haut niveau, notamment des généraux et des ingénieurs généraux de l’Armement, ce rapport était diffusé, pour des raisons pratiques, en tant que numéro hors série du magazine populaire VSD.
Précisons qu’il est toujours disponible, réédité en livre (en deux versions : Editions du Rocher, et livre de poche J’ai Lu).





Couverture du livre aux Editions du Rocher



En fait, on apprenait qu’il avait été d’abord remis au Président de la République Jacques Chirac et au Premier Ministre Lionel Jospin, quelque temps auparavant. Pour l’essentiel, ce rapport affirmait que les ovnis sont une réalité, qu’ils sont vraisemblablement d’origine extraterrestre, et qu’il faut prendre l’affaire très au sérieux, à tous points de vue. Non seulement en matière de défense nationale, thème principal du dossier, mais plus généralement parce qu’elle intéresse tous les aspects majeurs de notre civilisation : scientifique, historique, philosophique et religieux. L’impact médiatique du sujet n’était pas ignoré, et ces experts habitués au secret militaire recommandaient une certaine prudence gouvernementale en la matière. En revanche, ils mettaient en question très clairement la politique du secret toujours en vigueur aux États-Unis et c’était là, peut-être, le point le plus difficile à faire admettre.


Les auteurs, le COMETA et les liens avec l’IHEDN


L’étude avait été menée pendant trois ans par un groupe indépendant constitué d’anciens auditeurs du très sérieux Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), et d’experts qualifiés dans divers domaines, qui s’étaient réunis dans une association indépendante appelée “COMETA”, ce nom signifiant “Comité d’études avancées”.
Tout d’abord, le rapport était préfacé par deux personnalités importantes : André Lebeau, ancien président du Cnes (Centre national d’études spatiales), l’équivalent français de la NASA, et le général d’armée aérienne Bernard Norlain, ancien directeur de l’IHEDN.



Le général Bernard Norlain, ancien directeur de l’IHEDN






Le général de l’armée de l’Air Denis Letty

Puis le général Denis Letty, de l’armée de l’Air (lui aussi ancien de l’IHEDN), qui avait présidé les travaux du groupe, présentait quelques uns de ses membres :

– Le général Bruno Lemoine, armée de l’Air (ancien auditeur de l’IHEDN)
– L’amiral Marc Merlo (ancien auditeur de l’IHEDN)
– Michel Algrin, docteur d’état en sciences politiques, avocat (ancien auditeur de l’IHEDN)
– Le général Pierre Bescond, ingénieur en armement (ancien auditeur de l’IHEDN)
– Denis Blancher, commissaire principal de police, ministère de l’Intérieur
– Christian Marchal, ingénieur en chef du corps des Mines, directeur de recherche à l’ONERA (Office national pour l’étude et la recherche aéronautique)
– Le général Alain Orszag, docteur en physique et ingénieur en armements.


Le comité exprimait aussi sa gratitude à des personnalités indépendantes,
dont :
– Jean-Jacques Velasco, responsable du SEPRA au Cnes
– François Louange, président de Fleximage, spécialiste en analyse photographique
– le général Joseph Domange, de l’Armée de l’Air, délégué général de l’Association des Auditeurs de l’IHEDN.


Le général Norlain expliquait ensuite dans sa préface comment était né ce comité. Le général Letty était venu le voir en mars 1995, lorsqu’il était directeur de l’IHEDN, pour discuter d’un projet de comité sur les ovnis. Norlain l’avait assuré de son intérêt pour la question et lui avait recommandé de contacter l’Association des auditeurs de l’IHEDN. Celle-ci lui donna alors son appui pour mettre en œuvre son projet de comité d’études. Il est utile de rappeler ici qu’il y a 20 ans, ce fut un rapport de l’IHEDN qui déboucha sur la création du GEPAN, la première entité d’étude sur les ovnis au Cnes.
Les membres du comité anciens auditeurs de l’IHEDN furent rejoints par d’autres experts. Les uns et les autres occupent ou ont occupé d’importantes fonctions à la défense, dans l’industrie, l’enseignement, la recherche ou diverses administrations centrales. Le général Norlain formulait le vœu que ce rapport aide à développer de nouveaux efforts nationaux, et une coopération internationale indispensable.
On a reproché à ce rapport d’avoir été indûment présenté comme émanant de l’IHEDN, mais si on lit bien le texte, l’indépendance du COMETA y est clairement indiquée.



Le contenu du rapport du COMETA


Le thème principal du rapport, souligné par le général Letty dans son préambule, était que l’accumulation d’observations bien documentées nous oblige à considérer toutes les hypothèses sur l’origine des ovnis, en particulier des origines extraterrestres. Le rapport lui-même s’articulait en trois parties, suivies de quelques annexes.

Une première partie présentait quelques cas remarquables, français et étrangers. Une seconde partie décrivait l’organisation de la recherche actuelle, principalement en France, puis plus brièvement à l’étranger, ainsi que les études conduites par les scientifiques du monde entier, qui pourraient donner des explications partielles en accord avec les lois de la physique connues. Les principales hypothèses étaient ensuite passées en revue, depuis celle d’une confusion avec des engins secrets jusqu’aux manifestations extraterrestres. La troisième partie examinait les mesures à prendre concernant la défense, depuis l’information des pilotes, civils et militaires, jusqu’aux conséquences stratégiques, politiques et religieuses, dans le cas où l’hypothèse extraterrestre se confirmerait.
Voyons, très résumés, les arguments qui étaient présentés.


Partie I : Faits et Témoignages


Le COMETA a mis l’accent, avec raison, sur les témoignages de pilotes, tels que le colonel René Giraud, pilote de Mirage IV qui avait été littéralement pris en chasse par un ovni en 1977.





Mirage IV pris en chasse par un ovni (dessin de Joël Mesnard)



Plusieurs cas étrangers étaient ensuite évoqués, qu’on peut dire très solides en dépit
de certaines polémiques alimentées par les sceptiques tels que l’Américain Philip Klass :


Lakenheath (cas célèbre d’observation radar/visuelle au-dessus d’une base britannique en 1956) ;
RB-47 (autre cas célèbre d’un bombardier suivi par un ovni aux États-Unis en 1957) ; Téhéran (interception d’un ovni en 1976, confirmée par un document secret américain qui a été ensuite déclassifié) ;





Le général iranien Parviz Jafari a confirmé cette interception lors d’une conférence de presse à Washington en 2007



Russie (interception d’ovni en 1990, confirmée par le général d’aviation Igor Maltsev);
San Carlos de Bariloche, Argentine (un avion de ligne empêché d’atterrir par un ovni, en 1995).


Le rapport citait ensuite des observations depuis le sol :
à Tananarive en 1954, gros ovni survolant la ville et éteignant les lumières sur son
passage, effet électromagnétique maintes fois observé au passage d’un ovni ;
observation d’une soucoupe près du sol par un pilote français, Jean-Pierre Fartek, en 1979 ;
observation rapprochée par plusieurs témoins au-dessus de la base de missiles russe de Kapustin Yar, près d’Astrakhan, en 1989.




Dessin de l’ovni vu à Kapustin Yar



Cette étude de cas se terminait avec quatre observations rapprochées en France, toutes solidement étudiées, notamment par des enquêtes de gendarmerie et du GEPAN:
Valensole (un ovni au sol avec de petits êtres, vus par le cultivateur Maurice Masse, en 1965);

Cussac, dans le Cantal (également un ovni au sol avec de petits êtres, en 1967) ;


Trans-en-Provence (observation célèbre dans le monde entier, avec atterrissage
d’un petit ovni en janvier 1981, laissant une trace circulaire au sol et effets sur les plantes qui furent étudiées par un laboratoire de l’INRA) ;



Schéma de l’observation à Trans-en-Provence, selon l’enquête du GEPAN



Nancy (connu sous le nom de l’ “affaire de l’Amarante”, également avec effets sur des plantes, en 1982).



Partie II : Le point des connaissances


La seconde partie, intitulée “Le point des connaissances”, décrivait d’abord l’organisation de la recherche officielle en France, mise en place en commençant par les premières instructions données à la gendarmerie en 1974 pour la rédaction des rapports, puis avec la création du GEPAN, au sein du Cnes, en 1977, lequel a rassemblé au fil des années un ensemble de plus de 3 000 rapports provenant de la gendarmerie, et a procédé à des analyses des cas et des études statistiques.
Nous allons voir plus loin la suite de cette histoire. Disons seulement ici que, après un excellent démarrage et quelques bonnes études de cas, le vent a tourné et son activité a été fortement réduite, ce qui a amené le COMETA à recommander son redéploiement. De fait, c’est bien ce qui a été décidé en 2005, avec la mise en place d’un nouvel organisme, baptisé GEIPAN.




Monsieur Yves Sillard, directeur du Cnes à l’époque de la création du GEPAN. Il préside aujourd’hui le comité d’orientation du GEIPAN.




Le chapitre suivant - “OVNI : hypothèses, essais de modélisation” – évoquait des modèles et hypothèses sur la physique des ovnis, un aspect intéressant particulièrement, on s’en doute, les experts militaires que sont les auteurs du COMETA. Dans le même chapitre, étaient étudiées les “hypothèses globales” susceptibles d’expliquer les observations. Les mystifications sont rares et aisément détectables, estimait le COMETA. Quelques hypothèses jugées non scientifiques étaient mises de côté, comme la conspiration et la manipulation par des groupes puissants et très secrets (allusion aux rumeurs “conspirationnistes” assez répandues aux États-Unis), ou les phénomènes parapsychiques (pris comme hypothèse globale), sans oublier les “hallucinations collectives”, chères aux sceptiques qui veulent tout expliquer sous l’angle socio-psychologique.

L’hypothèse d’armes secrètes (pouvant être prises pour des ovnis) était aussi considérée comme très improbable, de même que celle de manipulations de l’opinion (“l’intoxication” au temps de la guerre froide), ou simplement les phénomènes naturels. Ainsi les auteurs, tel Sherlock Holmes, ayant éliminé toutes les autres hypothèses, il leur restait à envisager les hypothèses extraterrestres.
Pour étayer cette hypothèse des voyageurs extraterrestres, le rapport du COMETA rappelait le scénario de voyage interstellaire développé en France par les astronomes Jean-Claude Ribes et Guy Monnet à partir du concept des “îles spatiales” du physicien américain O’Neill, et qui est compatible avec la physique d’aujourd’hui. Ce scénario imagine d’immenses vaisseaux, construits dans l’espace avec les matériaux abondants de la ceinture des astéroïdes, traversant pendant plusieurs siècles les espaces interstellaires.


La question du secret aux États-Unis


L’un des aspects les plus importants du rapport du COMETA est qu’il a attaqué de front la question du secret aux États-Unis. Dans ce pays, remarquait-il, les médias et les sondages montrent un intérêt du public beaucoup plus marqué qu’en France. Pourtant, la position officielle de l’armée de l’Air reste, soit de nier, soit de dire qu’il n’y a pas de menace pour la sécurité nationale. Nous savons combien cette question lancinante du secret, essentiellement aux États-Unis, est l’un des aspects les plus importants de tout le dossier ovni. C’est pourquoi il est intéressant qu’un comité français, comprenant des experts militaires de haut rang, ait osé l’aborder publiquement. Mais c’est aussi, sans doute, la raison majeure de certaines critiques violentes dont il a été l’objet.


Partie III : Les Ovnis et la défense.


Les auteurs, ici au cœur de leur sujet, estimaient qu’aucune action hostile n’a encore été prouvée, mais qu’en revanche des actions “d’intimidation” ont été enregistrées en France (cas du Mirage IV par exemple). Puisqu’on ne peut exclure l’origine extraterrestre des ovnis,il est donc nécessaire, en déduisaient-ils, d’étudier les conséquences de cette hypothèse au niveau stratégique, mais aussi politique, religieux et médiatique.
Le premier chapitre de cette troisième partie était consacré aux “Prospectives stratégiques” et il s’ouvrait sur des questions fondamentales : « Que faire s’il s’agit d’extra-terrestres ? Quelles intentions et stratégie pouvons-nous déduire de leur comportement ? ». Les motivations possibles de visiteurs extraterrestres étaient supputées, telles que la protection de la planète Terre contre les dangers de la guerre nucléaire, suggérée par les survols répétés d’installations nucléaires militaires, notamment américaines et soviétiques, qui pouvaient être perçus comme des avertissements.
Le COMETA évaluait ensuite le comportement des différents pays, allant de l’inconscience apparente jusqu’à la possibilité de contacts privilégiés, ultrasecrets, qui auraient pu être établis par les États-Unis, expliquant ainsi leur attitude “des plus étrange” depuis la vague de 1947 et l’incident de Roswell. Depuis cette époque, notait le rapport, ce pays a pratiqué “une politique du secret croissant et de désinformation continue” qui pourrait avoir pour objectif la protection à tout prix de la supériorité technologique militaire acquise grâce à l’étude secrète des ovnis !


Puis le rapport s’attaquait à la question : « Quelles mesures devons-nous prendre maintenant ? ». Pour ces experts militaires, quelle que soit la nature des ovnis, ils nous imposent une “vigilance critique”, concernant en particulier les risques de “manipulations déstabilisatrices”. Le rapport employait même l’expression de “vigilance cosmique” des autorités, au plan national et international, afin d’empêcher toute surprise choquante, toute interprétation erronée et toute manipulation hostile.


En conclusion, le COMETA affirmait comme “quasi certaine” la réalité physique des ovnis, sous le contrôle d’êtres intelligents. Une seule hypothèse, affirmait-il, prend en compte les données disponibles : l’hypothèse de visiteurs extraterrestres. Cette hypothèse n’est évidemment pas prouvée, mais elle implique des conséquences très importantes.
Les motivations de ces visiteurs présumés restent inconnues mais doivent devenir un sujet de réflexion et conduire à l’ébauche de scénarios.


L’annexe sur Roswell et la désinformation


Le rapport du COMETA était complété par sept annexes, traitant de divers aspects, dont l’un avait pour titre “L’affaire Roswell – La désinformation”. C’est là que le rapport prenait un tour nettement plus polémique, qui devait inévitablement déclencher certaines réactions, car c’était un véritable pavé dans la “mare ufologique”. En France, en effet, si l’on demande au hasard à quelques personnes ce qu’évoque pour elles le nom de Roswell, on s’entend dire le plus souvent qu’il s’agit du canular d’une soi-disant autopsie d’un extraterrestre. Or le rapport du COMETA, non seulement prenait au sérieux l’affaire de Roswell, mais allait plus loin dans cette annexe, évoquant la possibilité d’une politique américaine de désinformation pour cacher les études secrètes menées depuis 1947, date de la première grande vague d’ovnis et du crash de Roswell. Il relevait les points forts du dossier, et soulignait que l’enquête du Congrès américain (du GAO, General Accounting Office) sur cette affaire, enquête qui avait été menée pendant un an et demi à la demande du député Steven Schiff, du Nouveau-Mexique, car il n’arrivait pas à obtenir la moindre information de l’armée de l’Air sur Roswell, n’avait pu que constater la destruction non motivée d’une grande partie des archives de la base aérienne de Roswell. Des archives exceptionnelles, pourtant, s’agissant de l’unique base de bombardiers atomiques à l’époque ! Le seul commentaire que se permettait le GAO était : « Le débat sur ce qui s’est écrasé à Roswell continue ».
Le COMETA soulignait la coïncidence curieuse entre la divulgation du film de l’autopsie supposée d’un cadavre d’extraterrestre du crash de Roswell, fin juin 1995, et la divulgation du rapport du GAO, fin juillet. Cette quasi simultanéité avait eu pour effet de détourner l’attention médiatique sur ce rapport important, très embarrassant pour l’armée de l’Air, en provoquant un énorme scandale qui allait discréditer durablement l’affaire de Roswell aux yeux du public. Le mieux est de citer les propos exacts du COMETA, mettant le doigt sur cet “amalgame” entre ce film suspect et l’affaire de Roswell : « Son authenticité est douteuse, mais surtout rien dans le film ne prouve que le cadavre ait la moindre relation avec l’incident de Roswell. L’amalgame est pourtant fait dans une grande partie de la presse écrite et télévisée, ridiculisant ainsi l’affaire de Roswell. Les conclusions du GAO et les vidéos des principaux témoins, présentées par TF1, passent inaperçues, noyées au milieu du film de l’autopsie ».

C’était, à mon avis, une analyse courageuse et juste, déjà en 1999, qui garde toute sa pertinence aujourd’hui.

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