mardi 15 novembre 2005

L'influence de Pierre Lagrange dans les médias

Gildas Bourdais, novembre 2005

On sait que le service français d'étude des ovnis vient d'être réactivé au CNES, en septembre dernier. Prenant le nom de GEIPAN, il est placé sous la présidence prestigieuse de M. Yves Sillard, l'ancien Directeur général du CNES qui avait justement créé le GEPAN en 1977. Cette relance n'est sans doute pas due au hasard, alors que l'ufologie, en France et dans d'autres pays, après avoir connu un recul au cours des années 90, semble reprendre une certaine vigueur. On a vu paraître en France ces dernières années une série de livres et de documents allant dans ce sens, à commencer par le rapport du Cometa, paru en juillet 1999. Récemment, les premières " rencontres européennes " de Châlons-en-Champagne, qui ont connu un succès incontestable avec plusieurs milliers de visiteurs en trois jours, ont été l'occasion de vérifier ce regain d'intérêt, qui se manifeste aussi sur Internet. Par contre, le scepticisme continue à prévaloir en France, semble-t-il, dans le monde intellectuel et médiatique. En l'occurrence, ces deux événements ont eu, en France, un impact contrasté et contradictoire. S'ils ont été bien accueillis par certains, notamment dans la presse régionale et à la radio RFI, certains journaux importants continuent à ne voir qu'un " déclin " de l'ufologie, et ont même passé presque complètement sous silence la création du GEIPAN. C'est le cas des articles parus dans Libération du 15 octobre, Le Monde du 19 octobre, et Le Nouvel Observateur du 27 octobre. Pourquoi des réactions aussi négatives dans ces " grands " médias français ? Il y a là matière à réflexion. Parmi les intervenants qui ont pu donner le ton figure en bonne place le sociologue Pierre Lagrange, que l'on a beaucoup lu, vu et entendu ces dix dernières années, avec un discours réducteur. Il me semble donc opportun de faire le point sur son influence dans les médias français, au fil des ses articles et des références faites par les journalistes à ses écrits.

Juin 1995 – Numéro Hors série de Sciences et Avenir sur les " parasciences "

Article de Pierre Lagrange : " L'invention des ovnis ".

La revue annonce en couverture le programme de ce numéro spécial : " Parasciences. Le vrai, le faux et l'idiot ". En sous-titre : " Astrologie, télépathie, voyance, radiesthésie, extraterrestres ". En fond de couverture, une belle voyante avec sa boule de cristal. Pierre Lagrange en est le conseiller scientifique. L'article de Lagrange, " L'invention des ovnis " mérite un examen attentif car il illustre bien, me semble-t-il, sa démarche particulière sur cette question. Le titre, le chapeau et le début de l'article ont un ton très négatif, mais l'auteur nous livre ensuite une dissertation plus subtile. Un mot, d'abord, sur le titre. Cette expression est fréquente chez Lagrange. S'agit-il simplement de l'invention de l'expression " soucoupe volante ", en 1947, après le témoignage historique de Kenneth Arnold ? En fait la plupart des lecteurs comprennent, évidemment, que les histoires d'ovnis sont des fables, comme l'explique clairement l'astronome Pierre Guérin dans son livre OVNI. Les mécanismes d'une désinformation (Albin Michel, 2000) :

" Le choix du mot " invention " n'est pas innocent, et nous avons là un exemple parfait de la façon dont Lagrange suggère plutôt qu'il n'affirme. La façon dont le mot est employé n'est pas faite pour laisser croire qu'il s'applique à l'expression " soucoupe volante " (qui fut effectivement inventée à cette époque), mais pour suggérer que c'est la soucoupe elle-même qui a été " inventée ", ce qui est une façon de la réduire à une vue de l'esprit en la privant de son statut d'objet volant réel ".

Notons que Lagrange n'est pas le seul à user de cette expression. C'est aussi par exemple le cas de Michel Meurger et Serge Lehman, dans un article de Ciel et Espace d'avril 1996, totalement sceptique, intitulé " Qui a inventé les soucoupes volantes ? ".

Le sous-titre de l'article de Lagrange renforce cette impression négative : " Depuis le premier témoignage de Kenneth Arnold en 1947, les apparitions de soucoupes volantes n'ont pas cessé de se multiplier. Aux Etats-Unis, on évalue aujourd'hui à plus de 3,5 millions le nombre d'Américains qui affirment avoir été kidnappés par des " visiteurs ". Délire collectif ou " phénomène aérospatial non identifié" ? "

Ce sous-titre fait un amalgame entre observations d'ovnis et témoignages d'enlèvements, suggérant ainsi qu'ils relèveraient d'un même " délire collectif ". De plus, il fait allusion de manière inexacte au fameux sondage Roper réalisé en 1991. Les auteurs du rapport n'ont pas " affirmé " qu'il y avait 3,5 millions d'enlevés. Il ont seulement établi que, parmi les 5947 personnes sondées, 119, soit 2% de l'échantillon, avaient répondu oui à quatre ou cinq questions sur six, telles que le souvenir d'un " temps manquant ", ou la présence d'une cicatrice d'origine inconnue, pouvant indiquer qu'elles ont été victimes d'un enlèvement. Le même pourcentage, appliqué à la population adulte de 185 millions d'habitants, représentait 3,7 millions de personnes. Mais il n'y a jamais eu un tel nombre d'Américains " affirmant " qu'ils avaient été enlevés ! C'était donc, de la part de Lagrange, une interprétation trompeuse, suggérant qu'il y avait une sorte de " délire collectif " dans ce pays. Il faut peut-être regretter, d'ailleurs, que certains auteurs favorables à la réalité des enlèvements l'aient également cité de cette manière abusive.

Les premières lignes de l'article de Science et Avenir continuent à donner une impression négative :

" Nous aimerions bien croire aux ovnis, reconnaissent les scientifiques, mais comment se contenter d'une collection de témoignages disparates pour établir l'existence d'un phénomène ? Et puis, de quoi parlons-nous ? D'objets, de phénomènes, d'hallucinations, de vaisseaux martiens ? ".

Cependant, Lagrange devient ensuite plus subtil, suggérant qu'il y a des ufologues qui travaillent sérieusement (ils font même des statistiques !), et que les scientifiques devraient bien se pencher sur leurs travaux, en mettant de côté leurs préjugés. L'article se termine sur cette bonne recommandation : " Si le physicien et le sociologue veulent s'intéresser aux ovnis, il faut qu'ils apprennent à ne pas trop réduire ces objets à leur propre cadre de pensée ".

Ainsi, en dépit du titre et sous-titre négatifs, certains plaident qu'il y avait là un effort d'ouverture sur le sujet. Pourtant, comme on est loin de certains articles antérieurs ! Je pense à ce dossier sur les ovnis, publié dans Sciences et Avenir de septembre 1972, intitulé " Des astronomes ouvrent le dossier des objets volants non identifiés ". Y figurait un article dense, de 18 pages, de Pierre Guérin, maître de Recherches au CNRS, qui présentait notamment des statistiques de Claude Poher, ingénieur au CNES (prélude à la création du GEPAN cinq ans plus tard).

Revenons en 1995. Il y a aussi, dans l'article du même Sciences et Avenir, signé Lagrange, un encart sur Roswell qui annonce déjà le bombardement intense auquel on va assister au cours des mois suivants. Titre de l'encart : " La guerre des mondes se refroidit ". Lagrange s'y aligne intégralement sur la thèse de l'US Air Force de 1994 : " Dans son rapport qui ne contenait pas moins de huit cents pages d'annexes, l'armée de l'air a reconnu que l' " ovni " n'était pas un ballon météorologique ordinaire, mais un ballon stratosphérique développé dans le cadre du Projet Mogul "

Notons la présentation trompeuse du rapport de l'Air Force. Celui du 8 septembre 1994, publié au nez et à la barbe du GAO (l'organisme du Congrès alors en pleine enquête sur Roswell), ne faisait que 22 pages. Les " 800 pages d'annexes " ne sont alors visibles qu'à la bibliothèque du Pentagone, et seront publiées en octobre 1995 dans le fameux Roswell Report qui atteindra le millier de pages). En fait, Pierre Lagrange avait déjà fait une démolition en règle de Roswell au début de l'année dans la revue ufologique Ovni Présence (février 1995). Son article " Pulp History. La soucoupe volante qui venait de la planète Mogul " s'alignait déjà sur la thèse du ballon " Mogul " de l'armée de l'Air américaine.

Eté 1995 : La crise de Roswell

En juin 1995, un petit producteur de musique britannique, Ray Santilli, commence à commercialiser le film très controversé de l'autopsie d'un être étrange, qui est selon lui un extraterrestre trouvé à Roswell en 1947, acheté à un vieux caméraman américain. Ce film va faire le tour du monde, en France dans deux émissions de Jacques Pradel sur TF1 (en juin et en octobre), et va faire un beau scandale. Joël Mesnard, directeur de la revue Lumières dans la Nuit, et moi, avions emmené l'assistant de Jacques Pradel Nicolas Maillard à Londres à une première projection, le 5 mai. Nous en étions revenus très perplexes (nous le sommes toujours), et Nicolas était même sceptique, mais son patron s'était ensuite emballé et avait acheté les droits pour la France. Il ne se doutait pas de ce qui l'attendait dans la presse ! Au cours de l'été, tout va être alors mélangé – l'autopsie, l'affaire de Roswell proprement dite, le rapport du Congrès américain (paru discrètement fin juillet) – dans une totale confusion. Force est de constater que le ton et les premiers coups de canon ont été donnés en France par Pierre Lagrange, dès le début du mois d'août.

Dans Science et Vie d'août 1995, paraît un premier article, de 9 pages, signé Lagrange. Titre : " La Grande arnaque ". Sous-titre : " Un manipulateur mercantile, Ray Santilli, a décidé d'exploiter la crédulité du public. Il relance une vieille affaire d'ovnis, le crash de Roswell, en vendant un film à sensation. Les médias apportent leur caution. Et, pourtant, aucun élément de cette affaire n'a résisté à notre enquête ".

C'est un amalgame incroyable entre le film et le dossier de Roswell, avec des arguments qui seront repris l'année suivante dans son livre La rumeur de Roswell. Or le seul lien avec l'affaire du crash d'un ovni à Roswell en 1947 est que Ray Santilli l'a dit, citant le mystérieux caméraman que personne n'arrivera à rencontrer.

Cet article est déjà un beau matraquage du vrai dossier de Roswell. En voici juste un exemple, au sujet des débris de ballons montrés à la presse le 8 juillet au soir, par le général Ramey, flanqué de son adjoint, le colonel DuBose. Ce dernier, une fois devenu général à la retraite, va devenir l'un des témoins importants, avec une déposition écrite signée devant un notaire (un " affidavit "), déjà reproduite dans plusieurs livres à ce moment, même dans celui du sceptique Karl Pflock, tenant du ballon Mogul. DuBose y dit clairement que les débris de ballon étaient un " cover-up " pour cacher les vrais débris :

" Le matériel montré dans le bureau du général Ramey était un ballon météo. L'explication par le ballon météo était une couverture pour détourner l'attention de la presse " (" The material shown in the photographs taken in Major General Ramey's office was a weather balloon. The weather balloon explanation for the material was a cover story to divert the attention of the press ").

Or Lagrange ose écrire dans son article de Science et Vie : " Un autre témoin, le général DuBose, également présent à la séance de photos, a lui aussi affirmé que les débris photographiés étaient ceux de la soucoupe ". Et il ajoute que des ufologues lui ont fait changer d'avis, ce qui " illustre la fragilité d'un témoignage qui s'appuie sur des souvenirs vieux de quarante ans " ! J'ai lu quasiment tout ce qui a été publié sur Roswell, j'ai correspondu avec les enquêteurs, pour ou contre Roswell, et j'affirme qu'il n'existe aucun autre texte où le général DuBose aurait dit le contraire de son affidavit. En fait, il a dit que le matériel n'avait pas été changé dans le bureau de Ramey, mais que les vrais débris n'y avaient jamais été étalés devant la presse, et que lui-même ne les avait jamais vus ! Je vais revenir sur ce genre d'argument à propos du livre de Lagrange, mais je renvoie, pour l'histoire détaillée, le lecteur à mon livre Roswell. Enquêtes, secret et désinformation (JMG, 2004).

C'est dans cet article qu'apparaît l'argument du " sang vert ", cité comme preuve du canular en légende d'une photo du film. Mais le film était en noir et blanc, et Jacques Pradel en avait déjà présenté quelques images à TF1 fin juin ! Lagrange a plaidé que c'était une bourde de l'équipe de Science et Vie, ce qui est possible, mais ce détail reste intéressant dans la perspective qui nous occupe, celle de l'impact médiatique. Le détail du sang vert a été en effet reproduit un peu partout, en premier lieu dans un nouvel article cosigné par Lagrange, dans Libération du 8 août (il a dit également que ce n'était pas sa faute, mais le détail était cette fois dans le corps de l'article : admettons-le mais cela signifie qu'il n'avait pas relu le texte final, sur cette affaire si complexe et controversée). Nicolas Maillard, l'assistant de Jacques Pradel et ami de Lagrange, l'avait surnommé " le traceur des copieurs " (On le retrouve, par exemple, dans Télérama, TéléK7, Le Parisien…).

L'article de Libération du 8 août 1995 " L'armée US dégonfle ses ovnis "

J'ai déjà cité souvent cet article car il contient une énorme contre-vérité, dès le sous-titre :

" Une commission du Congrès met un coup d'arrêt à une vieille rumeur ". Que signifie cette phrase sibylline ? L'article est confus, mais l'encart résumant l'affaire est clair :

" Août 1995. Les conclusions de l'enquête du GAO reprennent la version de 1994 de l'US Air Force ". C'est à dire, le train de ballons Mogul. Or ceci est totalement faux ! Le rapport du GAO, qui a été rendu public discrètement le 24 juillet (occulté d'ailleurs par le " scandale " du film) donne sobrement son opinion : " L'enquête sur ce qui s'est écrasé à Roswell continue ". Cela ne faisait que confirmer ce que des journalistes avaient déjà indiqué quelques semaines plus tôt, notamment dans le Washington Post, à savoir que le GAO ne croyait pas à l'histoire des ballons, et sentait qu'il enquêtait sur une affaire très " chaude ".

La presse de l'été 1995 emboîte le pas à Lagrange et est massivement hostile, non seulement au film, mais aussi, forcément, à l'histoire de Roswell. Par exemple, Télérama du 9 août écrit, dans un article intitulé " L'E.T. sera show ", faisant référence trois fois à Lagrange (et copiant le sang vert !) : " Ca fait série Z à bon marché, très morbide, avec un côté cannibale ", remarque le sociologue Pierre Lagrange, auteur de l'article de " Science et Vie ".

Sur Roswell, poursuit l'article, Lagrange se plaint qu'on escamote le contexte de l'époque : " la guerre froide, la méfiance de l'armée, qui a fait des mystères de riens ". Quel est le sens de cette phrase curieuse ? Les aviateurs de Roswell ont-ils cru trouver une soucoupe volante à cause de l'ambiance de la guerre froide ? En fait, elle n'était pas encore vraiment commencée, cette guerre froide, mais qu'importe ! Et Lagrange s'inquiète de la psychose qui règne aux Etats-Unis en 1995, même au fameux Larry King Show. Mais la journaliste Anne Simonot nous rassure pour finir : " La France n'en est pas là. Ovnis et extraterrestres y sont toujours croqués à la sauce grand-guignolesque, agrémentée le cas échéant d'un sens mercantile très terre à terre " . Oui, la France en est là, avec quelques exceptions.

Le 29 août, Michel Polac fait une émission sensationnelle sur Arte avec un faux film d'autopsie en Russie, aussitôt dénoncé. Lagrange est sur le plateau, à côté, notamment, du " zététicien " Henri Broch, et tout le monde casse du sucre sur l'autopsie, sur Roswell, et sur la crédulité populaire. L'historien Paul Veyne appelle le film de l'autopsie une " grotesquerie ". Le lendemain, Le Parisien commente : " Hier soir, Michel Polac a poussé un " coup de gueule " inattendu sur Arte . La polémique prend subitement de l'ampleur ". L'article cite aussi le sang vert, et la sentence tombe : " L'irrationnel a de beaux jours devant lui. Le commerce aussi ".

Le Journal du Dimanche du 17 septembre titre en pleine page : " Le nouveau complot des extraterrestres ", avec comme sous-titre : " Ils sont de retour (en tous cas à la télé). Ils permettent de faire de très bonnes affaires, merci. Enquête sur un phénomène de société qui va de l'amusant à l'inquiétant. Comment se fabrique une soucoupe volante. Des chercheurs aux illuminés, l'histoire des ovnis ". Lagrange y est cité à plusieurs reprises. Par exemple, dans un paragraphe intitulé " Le marché de la soucoupe d'occasion " : " Les mécanismes observés dans le cheminement des principales affaires d'extra-terrestres sont rigoureusement identiques à ceux des grandes rumeurs étudiées par les sociologues " Et sur le dossier des enlèvements extraterrestres, devenus selon lui un " véritable sport national aux Etats-Unis ", ou " des centaines de milliers d'Américains sont persuadés d'avoir été kidnappés par des E.T. " . Lagrange fait aussi le rapprochement avec l'extrême droite, un thème qu'il va reprendre dans son livre La rumeur de Roswell. Certes , il n'est pas tout seul dans ce travail de sape, on y cite aussi dans l'article des sceptiques comme Michel Meurger, Perry Petrakis et Yves Bosson, mais il se détache assez nettement comme un " leader d'opinion ".

Octobre : L'émission de Jacques Pradel à TF1

L'émission de Jacques Pradel, du 23 octobre 1995, présentant le film de l'autopsie, qui a été en fait bien menée de bout en bout, a cependant aggravé les choses dans les médias, au point que l'on peut même parler de lynchage médiatique de Pradel dans certains journaux. Des ufologues se joignent à la réprobation générale et enfoncent le clou, par exemple dans TéléK7 (qui cite aussi le sang vert). Dans Le Figaro du 23 octobre, une pleine page est intitulée " La fumisterie qui venait de l'espace ". Je suis cité à la suite d'une réunion de presse où avait été présenté mon premier livre sur Roswell, Sont-ils déjà là ?. Le journaliste Olivier Delcroix, qui y avait assisté, me cite correctement, soutenant l'affaire de Roswell mais prenant mes distances avec le film de Santilli. J'ai dit, en effet : " Pour moi, cela sent très fort la manipulation des services secrets " (je n'ai pas changé d'avis depuis, bien au contraire). Mais Delcroix cite aussitôt Lagrange qui me réfute brutalement : " La thèse de la manipulation par les services secrets, c'est un truc classique des ufologues. Chaque fois qu'une révélation faite par cette petite communauté s'avère fausse, ils se réfugient derrière cette thèse paranoïaque ".

Ainsi, pour Lagrange, oser évoquer une possible manipulation, c'est être paranoïaque ! Je renvoie le lecteur à mes deux derniers livres pour une discussion sérieuse de cette question. Je rappelle juste, en passant, que William Moore – l'auteur du premier livre sur Roswell en 1980 - avait avoué publiquement, en 1989, avoir été enrôlé peu après la parution de son livre par les services de renseignement de l'Air Force (l'AFOSI) pour espionner les ufologues et faire passer de la désinformation " amplifiante " (la base alien de Dulce), par le canal de l'ingénieur trop crédule Paul Bennewitz, qu'ils avaient rendu fou. Comme je l'ai expliqué dans mon livre Roswell. Enquêtes, secret et désinformation, Il y a de bonnes raisons de supposer que le film de l'autopsie était une opération du même genre.

Dans un nouvel article de Science et Vie de novembre 1995, " Roswell. Autopsie d'une imposture ", Lagrange prétend régler leur compte ensemble, en six pages virulentes, à l'autopsie et au crash de Roswell, pratiquant toujours le même amalgame entre les deux affaires (mais les descriptions faites par les témoins de Roswell ne collent pas du tout avec ce cadavre assez corpulent !). Il serait excessivement long et fastidieux de reprendre les détails de ce mauvais article : pour un exposé détaillé sur Roswell, je renvoie de nouveau le lecteur à mon livre.

Les articles qui précèdent sont de l'artillerie lourde pour grand public, mais Pierre Lagrange sait aussi écrire pour un lectorat plus exigeant, avec des arguments plus subtils. C'est le cas d'un article publié en octobre dans la revue La Recherche, intitulé sobrement " Extraterrestres, scientifiques et médias ". Le thème de l'article, analysant l'émission de Jacques Pradel, est que celui-ci utilise une démarche pseudo-scientifique, marginale : " Pradel réussit un montage assez délicat qui présente un redéploiement, dans un cadre médiatique, du théâtre de la preuve. Un théâtre qui met en place de nouveaux régimes d'existence des faits, en marge de la preuve scientifique, en multipliant les formes d'expertise ". Et plus loin : " Quel espace, quel réseau déploie Jacques Pradel ? Certainement pas celui du laboratoire et de la preuve scientifique. Il réinvente un je-ne-sais-quoi qu'il appelle à l'occasion démonstration scientifique, en employant les mots de scepticisme, de preuve ".

En fait, sous ce ton assez convenable et policé, il y a, encore une fois, une vraie démolition de l'émission de Pradel, qui ne méritait pas cela. En menant son enquête au cours de l'été avec son assistant Nicolas Maillard, il était devenu très prudent, et son émission d'octobre était bien équilibrée, avec des experts qualifiés. Mais c'était trop tard : la meute médiatique était déjà lâchée.

Janvier 1996 : Les " rencontres rapprochées " vues par Lagrange

Un dossier sur les " rencontres avec des extraterrestres " (les " rencontres rapprochées ", ou " RR3 ") est publié en janvier 1996 dans Science et Vie Junior. Il est confié à Pierre Lagrange, qui y présente " un florilège des plus belles histoires ". Le moins que l'on puisse dire, c'est que la crédibilité de l'ufologie n'en est pas sortie renforcée. On y voit défiler " les gobelins de Kelly " (l'affaire de Kelly-Hopkinsville), qualifiés gentiment de " version soucoupique de La nuit des morts vivants ; " les barbus au miroir " (l'affaire de Cussac) ; " Le Vénusien pacifiste " (l'affaire Adamski, bien sûr) ; " Les astronautes de Socorro ".

Faisons un arrêt sur ce cas, un remarquable atterrissage d'engin inconnu, décollant sous les yeux du policier Zamora, près de Socorro au Nouveau-Mexique le 24 avril 1964, et laissant des traces au sol. Lagrange écrit : " Les enquêteurs de l'Air Force, habituellement réservés sur ce genre de récit, repartiront convaincus que Zamora a bien vu ce qu'il décrit : à tous les coups un prototype du LEM (module d'exploration lunaire). Mais la NASA n'a jamais avoué ". Or ceci est faux ! Socorro est au contraire l'un des rares cas pour lesquels la commission " Livre Bleu " de l'Air Force a admis n'avoir pas trouvé d'explication. Celle-ci, dans son rapport du 8 juin 1964, a écrit que son investigation continuait et que le cas restait ouvert. Le Major Quintanilla, chef de la commission, a lui-même écrit ensuite, dans la revue de la CIA Studies in Intelligence : " C'est le cas le mieux documenté que nous ayons, et nous n'avons toujours pas été capables, en dépit d'une enquête poussée, de découvrir quel était le véhicule ou autre stimulus qui avait effrayé Zamora jusqu'à la panique " (cf. UFO Encyclopedia de Jerome Clark, vol. 3, p. 462). Mais il a une objection encore plus simple : le prototype du futur LEM, le " LLRV " (" Lunar Landing Research Vehicle "), fit son premier vol le 30 octobre 1964, six mois après Socorro, et pas à White Sands mais à Edwards (Dryden), en Californie ! De plus, son aspect encore fruste, avec armatures métalliques apparentes et le pilote juché sur son siège éjectable, ne pouvait pas prêter à confusion. Nul doute que l'Air Force se soit informée facilement auprès de la NASA sur ce projet qui n'était pas particulièrement secret. Voir l'historique sur le site de la NASA :

www.nasa.gov/centers/dryden/pdf/89228main_TF-2004-08-DFRC.pdf

Toujours dans Science et Vie Junior, Lagrange continue ce petit jeu avec " Les kidnappeurs " de Betty et Barney Hill, qui conclut sur une explication originale pour la carte des étoiles, dessinée sous hypnose par Betty Hill: " … le Français Michel Carrouges nota, de son côté, que les tracés de la carte correspondent aux grands axes autoroutiers du nord-est des Etats-Unis. En ce cas, les visiteurs viendraient peut-être…de New York ".

Terminons cette revue des " RR3 " selon Lagrange. " Pâtisserie d'outre-espace " raconte le cas de Joe Simonton, auquel deux êtres dans une petite soucoupe avaient offert des galettes qui s'avèreront à l'analyse très ordinaires : " En plus d'être somnambule, Joe serait-il en plus un piètre pâtissier ? ". En fait, ce cas, comme beaucoup d'autres, pose la question de mises en scène trompeuses, mais l'idée était trop compliquée, sans doute, pour une telle revue. C'était plus facile de s'en amuser. Dans " Amour exotique ", l'affaire du Brésilien Villas Boas, Lagrange conclut encore sur une note humoristique, pas très drôle en fait : " Autre question : qu'est-il vraiment arrivé à Antonio Villas Boas ? Le médecin qui l'a examiné a conclu qu'il avait été irradié. Ah ! Quand on nous dit qu'il faut se méfier des femmes… ". Enfin, dans l'affaire de Valensole (atterrissage en France dans un champ de lavande, avec témoin et traces au sol), Lagrange s'interroge : " Les soucoupes sont-elles désormais parfumées à la lavande ? ".

Le livre La rumeur de Roswell, et la rumeur des ovnis

L'année 1996, qui avait mal commencé, s'est aussi mal terminée, avec la parution du livre de Lagrange La rumeur de Roswell. Là, il ne plaisante plus. Le dossier du crash de Roswell y est laminé et incroyablement caricaturé, comme je l'ai expliqué dans un article précédent, " Roswell et la rumeur de Roswell ", dans lequel j'ai récapitulé les témoins absents ou maltraités. Article paru dans la revue LDLN N°356 de mai 2000, et à voir sur le site de Ufocom à :

http://www.ufocom.org/UfocomS/gildas991011.htm

Cette étude ayant pour but d'évaluer l'impact médiatique des écrits de Lagrange, on peut tout de suite se faire une idée sur celui qu'a pu avoir La rumeur de Roswell, en lisant la quatrième page de couverture, qui montre comment l'éditeur a compris le livre. Et l'on comprend que le livre dépasse largement le cadre de l'affaire de Roswell :

"Grâce à sa connaissance intime du milieu des "ufologues", sur lequel il enquête depuis plusieurs années, l'auteur brosse une étonnante galerie de personnages hauts en couleurs, qui ne cessent de changer de camp, révèle une foule d'anecdotes inconnues du grand public, et montre comment l'invention des soucoupes volantes, puis celle des "crashs d'OVNI" sont devenus des légendes modernes qui ne sont pas près de disparaître de l'imaginaire de nos contemporains ".

Ainsi, au delà de la controverse de Roswell, c'est tout le dossier ovni qui est mis en doute dans l'esprit du lecteur. En témoigne le titre du premier chapitre : " Eté 1947, l'invention des soucoupes volantes ". Décidément, cette " invention des soucoupes " revient sans cesse sous sa plume. Dans le deuxième chapitre, " depuis quand les soucoupes viennent-elles de Mars ? ", Lagrange joue avec le thème de l'influence de la science-fiction dans cette " invention ", mais il se contente de le suggérer, non sans habileté, plutôt que de l'affirmer, ne pouvant nier qu'il y a eu des observations crédibles, et sachant donc bien à quel point l'argument des ovnis nés de la S.F. est artificiel. Il préfère citer son ami Bertrand Méheust, l'un des spécialistes du thème avec Michel Meurger (p. 34) : " Comme le note l'ethnologue Bertrand Méheust, les " crashs " d'ovnis évoquent irrésistiblement ces histoires de science-fiction d'avant-guerre … ", ce qui lui permet tout de même de planter l'idée dans l'esprit du lecteur : " Les premières soucoupes supposées venir de Mars résultent donc de la combinaison des observations et du discours de la science-fiction ou de certains groupes occultes ".

Un autre thème qui mérite d'être souligné car il va être beaucoup repris dans les médias, est celui d'une collusion des " chasseurs d'ovnis " avec l'extrême droite, auquel Lagrange a consacré un chapitre, " Les extraterrestres votent-ils à droite ? ". Le 15 décembre, Libération, dans l'article " Le FN aux frontières de X-Files ", fait référence au livre de Lagrange : " Plus récemment, le sociologue Pierre Lagrange a décelé des liaisons dangereuses entre milieux d'extrême droite, notamment américains, et passionnés d'extraterrestres ". Même son de cloche à Télérama du 14 au 20 décembre, avec ce titre en couverture : " X-Files. A qui profite le complot ? ". Le dossier de six pages se réfère au livre de Lagrange pour faire cet amalgame assez infamant : " De solides liens unissent l'extrême droite américaine, les milices de " patriotes " qui font du gouvernement leur cible privilégiée, et les chasseurs d'ovnis ". En note, l'article renvoie à La rumeur de Roswell : " Pierre Lagrange démonte la supercherie de l'autopsie de la créature de Roswell et raconte à quelles nécessités correspond l'invention des soucoupes volantes ". Décidément, " l'invention des soucoupes " continue à faire une belle carrière médiatique.

L'hebdomadaire Le Point du 18 janvier 1997 fait lui aussi une critique élogieuse du livre : " Discuter de la vraisemblance de l'affaire n'intéresse pas le sociologue. En revanche, il a mené un enquête fouillée auprès de tous les acteurs de cette " légende urbaine ". On y découvre que la gestion de Roswell par l'armée et le FBI, soucieux de dissimuler des expériences stratégiques en période de guerre froide, n'a fait qu'encourager les croyances ".

Et de conclure : " … des conférences sur les ovnis où l'on dénonce sans rire des gouvernements suspects d'avoir vendu leur pays à des " envahisseurs " aux séries télévisées style X-Files, c'est une certaine vision " conspirative " du monde, voire xénophobe, qui se propage ".

Incidemment, on voit là l'incidence très lourde de la série X Files, dont on peut dire aujourd'hui qu'elle a fait beaucoup de tort à l'ufologie, en particulier sur les dossiers difficiles comme Roswell, le secret, les enlèvements. En revanche, de vraies fortunes se sont faites en exploitant ces " filons juteux ", mais ce ne sont pas les ufologues qui en ont profité, sauf en de rares occasions.

Soulignons aussi le thème, souvent ressassé, par exemple dans Libération du 12 avril 1997, commentant le livre de Lagrange, de l'influence de la Guerre froide dans l'apparition de la " légende urbaine " des soucoupes volantes. Le petit article en question, intitulé " Faux Martiens et vrais cocos ", ose faire cette caricature : "En ces débuts de Guerre froide, peur des martiens et mobilisation anticommuniste peuvent faire bon ménage et participer ensemble au climat d'alerte maximale dans lequel le président Truman engage les Etats-Unis d'Amérique. Cependant, si les gens s'emparent de ce type de récit et les multiplient c'est précisément parce que " les histoires de crash appartiennent à un genre, les légendes urbaines, et, à l'intérieur de ce genre, à la catégorie des secrets gouvernementaux ".

Le thème de la guerre froide est bien présent, effectivement, dans le livre de Lagrange, comme cause d'hystérie " soucoupique ", mais il est vrai qu'il le situe plus correctement au début des années 50, à propos de la commission scientifique Robertson, réunie au début de 1953 par l'Air Force et la CIA (p. 47) : " Les membres de la commission s'inquiètent plutôt du " bruit " provoqué par les nombreux rapports d'ovnis qui risqueraient de noyer un " signal " intéressant la Défense (nous sommes en pleine guerre froide, faut-il le rappeler, et les Américains s'inquiètent des prouesses aériennes des Soviétiques) ".

De fait, la Guerre froide n'a vraiment démarré qu'en juin 1948, avec le blocus de Berlin. En juin 1947, l'année des soucoupes, Truman offrait le plan Marshall à toute l'Europe, qui allait être rejeté en bloc par l'URSS dès juillet. On était encore loin de cette " hystérie collective " censée avoir engendré la vague des soucoupes en 1947. C'est pourtant l'idée que l'on a souvent retenue dans les médias, en se référant volontiers au livre de Lagrange. Il semble que certaines idées passent, sans avoir été clairement dites…

1997 : Le cinquantenaire des ovnis

Le vendredi 13 juin 1997, la chaîne Canal Plus commémore à sa façon le cinquantième anniversaire des ovnis, avec une grande émission, " La nuit extraterrestre ". C'est aussi, bien sûr, le cinquantenaire de l'affaire de Roswell, bonne occasion pour la petite ville de Roswell d'y organiser une grande foire commerciale aux ovnis, dont vont se repaître les journalistes. Une chaîne a diffusé en France une émission en six épisodes tournée sur place. Les journalistes y sont allés, ne sachant rien sur Roswell (on voit passer, par hasard, devant la caméra, Kevin Randle, non identifié), et en sont repartis de même, persuadés que Roswell, c'est une bouffonnerie.

La " grande " soirée de Canal Plus, le 13 juin, ne vaut guère mieux. Pierre Lagrange en est le conseiller technique, mais la vedette en est le présentateur Benoît Poelvoorde. Celui-ci se surpasse en pitreries, que l'on pourrait trouver drôles à condition d'oublier que l'enjeu des ovnis, c'est tout de même celui d'une grande mutation culturelle qui se prépare peut-être pour l'humanité. On le voit même insinuer que le général de Brouwer a tendance à voir des ovnis partout et est porté sur la bouteille ! Commentaire dans Le Figaro du 15 juin : " Il ne manquait plus qu'eux : les extraterrestres. En attendant de tenir une conférence sur le perron de l'Hôtel Matignon, ils ont passé la nuit sur Canal+. Ils ont été reçus par un animateur belge, presque aussi allumé qu'eux ". Pierre Lagrange, cependant, tire bien parti de l'événement, avec plusieurs articles, notamment Télé 7 Jours, faisant référence à La rumeur de Roswell , qui titre : " Professeur Lagrange. 7 raisons de ne pas croire à Roswell ".

Parallèlement à son émission, Canal Plus publie une brochure joliment illustrée, Sont-ils parmi nous ? La nuit extraterrestre. Pierre Lagrange, coauteur, ne manque pas l'occasion de brocarder Roswell, sa cible favorite, avec des expressions comme " le grand complot ", les " partisans du complot ", et le " révisionnisme roswellien ". On y apprend que, pour la première projection du film de l'autopsie, le 5 mai à Londres, n'avaient été invités que " quelques privilégiés triés dans le milieu des ufologues ". Encore une erreur ! Il suffisait de le demander, comme je l'avais fait, par Fax et par téléphone. Cela dit, en feuilletant le petit livre, on remarque qu'il est parsemé d'expressions et d'images dépréciant les ovnis. La vague américaine de 1947, par exemple, est illustrée avec un dessin humoristique particulièrement ridicule du magazine Life (p. 9). Comme d'habitude, on y trouve un peu partout l'appellation péjorative de " soucoupiste " . Par exemple, " les premiers soucoupistes " (p. 20), et les " soucoupistes français " (p. 38). La vague française (et italienne) de 1954 est titrée un peu dérisoirement " France, terre d'accueil ", et tout à l'avenant. Plus grave, on retrouve les arguments fallacieux de Science et Vie Junior, déjà cités. Pour l'affaire de Socorro, sous le titre " Le gendarme et les extraterrestres ", on retrouve, en encart, l'idée que, pour les militaires américains le policier Zamora avait vu en fait l'essai d'un module lunaire (LEM) de la NASA (p. 30), une explication fausse et ridicule, on l'a vu. Pour l'enlèvement supposé des époux Hill, Lagrange ressert la carte, non moins ridicule, des autoroutes américaines selon Michel Carrouges (p. 33) ; pour l'affaire Masse, l'œil accroche un sous-titre : " La soucoupe volante était sans doute un hélicoptère " (mais il est dit en bas de page que l'hypothèse fut rejetée par la suite : c'est juste une petite contradiction). Sur la vague belge de 1989, on voit un sous-titre curieux : " Les débris d'un mystère. Trois jours auront suffi pour donner une explication à un phénomène étrange apparu dans le ciel d'Europe ". Mais juste à côté, dans le texte, il est dit que " quelque chose s'est passé ; mais quoi ? ". Comprenons bien que, dans ce genre de livre pour large public, ce qui compte le plus, ce sont les titres, les sous-titres et les illustrations. C'est pourquoi on peut dire que ce petit livre cosigné Lagrange constitue un joli travail de sape des ovnis.

Dans Télérama du 4 juin 1997, Pierre Lagrange explique, dans un entretien intitulé " L'invention des soucoupes " (encore !) :

" Evidemment, on a toujours vu des choses. On parlait de " fusée fantôme ", de " foo fighter ", d' " airship ", mais ces qualifications ne duraient pas plus d'une saison. En 1947, les gens ont l'impression de découvrir vraiment quelque chose de nouveau avec cette histoire de " flying saucers " (…) C'est à cette époque qu'on invente l'expression " soucoupe volante" ". Cette fois, c'est donc bien l'expression " soucoupe volante qui a été inventée. Cela dit, Lagrange y expédie Roswell en deux coups de patte :

" En 1947, Roswell est une histoire parmi d'autres. Aujourd'hui, on en fait tout un plat, mais l'affaire n'a duré qu'une demi-journée. " Et plus loin : " Certes, les militaires ont un petit peu menti parce que ce n'était pas un ballon-sonde classique. On ne s'y intéresse à nouveau qu'en 1980, avec la découverte d'un vrai-faux témoin ".

C'est confondant. D'abord, le communiqué de presse et le démenti ont fait les plus gros titres de la saison. C'était le titre principal en première page du New York Times du 9 juillet, et dès le lendemain s'est abattu un vrai rideau de fer sur les " soucoupes " qui dure encore aujourd'hui. Dans ce journal ; les soucoupes sont renvoyées dès le lendemain en page 23 (voir mon livre Roswell, pp. 56 à 57). Non, ce n'était pas un petit incident : ce fut en fait le tournant de toute la vague de l'été 1947 et le coup d'envoi de la politique de debunking. Et le " vrai-faux " témoin était bien un vrai témoin, Jesse Marcel, suivi de beaucoup d'autres.

Lagrange conclut son entretien dans Télérama sur cette idée, qu'il continue à servir aujourd'hui : " Cela dit, à mon avis, si des ET passaient, on ne serait pas à même de les reconnaître. Quelque chose qui serait radicalement nouveau, serait-on seulement capable de le percevoir comme tel ? "

Cette formulation habile, qu'il va beaucoup répéter, permet à Lagrange et à ses amis de soutenir qu'il n'a jamais affirmé qu'il n'y avait pas d'ovnis et de visiteurs extraterrestres, simplement que nous ne sommes peut-être pas capables de les voir. Notons un mérite de cet argument : il excuse par avance, en somme, un demi-siècle d'aveuglement sur les ovnis. Or il y a, depuis déjà longtemps, un énorme dossier de témoignages solides sur les ovnis ! Je suggère que l'on pose la question, par exemple, au copilote du B-52 qui avait survolé en octobre 1968 un ovni de grandes dimensions, resté en point fixe pendant deux heures au dessus de silos de missiles nucléaires de la base de Minot, qu'il avait désactivés. Cet incident n'était pas isolé. Il y en avait eu avant et il allait y en avoir d'autres ensuite. Trois mois plus tard, était publié le " Rapport Condon ", expliquant que, non, il n'y avait rien qui menaçait la sécurité du pays…

Disons simplement que ce discours de Lagrange est loin du compte. Cette timide ouverture – il y a peut-être des ovnis, mais on ne peut pas les voir – fait peu de cas, non seulement de la montagne de témoignages accumulés depuis des décennies, mais surtout il occulte une question qui est au cœur de l'ufologie : celle de la politique du secret, pratiquée notoirement par les Etats-Unis. Tant que l'on éludera cette question, on ne risquera pas de comprendre grand chose au dossier ovni.

Toujours à l'occasion du cinquantenaire, Science et Vie publie un numéro spécial, " 50 ans d'ovnis ", avec Pierre Lagrange pour conseiller de rédaction. La tonalité générale du numéro est assez sceptique, mais il y a une " bonne surprise ", pourrait-on dire, comme me l'a fait remarquer en riant l'astronome Pierre Guérin : Lagrange y fait un bon récit de l'affaire de Valensole. Cependant, il se garde bien de s'avancer dans sa conclusion : " … l'ufologie n'offre aucune hypothèse. Elle se contente de l'inexpliqué. De l'incroyable. Du mystère de Valensole ". En réalité, ce cas est bien l'un des " classiques " à l'appui de l'hypothèse de visiteurs extraterrestres, même si l'on peut se demander aujourd'hui s'il n'y avait pas là, une fois de plus, une sorte de mise en scène trompeuse.

L'année du cinquantenaire, c'est aussi la publication du livre très controversé du colonel Corso, un dossier difficile que je ne vais pas essayer d'analyser ici (je renvoie à mon livre sur Roswell). Mais c'est aussi la publication du second gros livre de l'Air Force, Roswell Case Closed, qui prétend clore le débat pour de bon. Dès l'annonce de la parution à venir, je l'avais commandé mais je ne l'avais pas encore quand j'ai été invité, un peu à la sauvette, à venir en parler sur le plateau de LCI, alors animé par David Pujadas. J'y avais retrouvé l'inévitable Pierre Lagrange, muni du livre et le présentant comme la vérité sur Roswell, sans la moindre réserve. Une surprise l'attendait, cependant : l'opinion négative de Jean-Jacques Velasco, invité en duplex depuis Toulouse. De fait, la presse américaine n'a pas caché son scepticisme, cette fois, sur ce livre qui expliquait que les souvenirs de témoins sur les cadavres étaient des confusions avec des mannequins en bois utilisés dans les années 50 pour des essais de parachutes !

Le 6 août 1997, à l'occasion de la sortie du film Men in Black, Le Figaro publiait deux articles assez calamiteux pour les ovnis. Le premier traitait le thème des " hommes en noir ". Intitulé " James McAndrew le vrai " man in black ", il expliquait que le capitaine de l'Air Force McAndrew (dont Lagrange disait être l'ami), avec ses lunettes noires comme celles des MIB, était l'auteur du rapport Roswell Case Closed. Ce fut l'occasion pour le journaliste Olivier Delcroix de rappeler le livre de Lagrange : " Pierre Lagrange, sociologue spécialisé dans l'étude des ovnis depuis une dizaine d'années et auteur d'un livre démontant point par point " l'affaire de Roswell ", rappelle comment est né ce mythe moderne (cette fois, celui des MIB) resté souterrain ".

Pour mémoire, le second article présentait une étude de l'historien de la CIA Gerald K. Haines, Studies in Intelligence, venant justement de paraître, qui expliquait que les ovnis étaient le plus souvent des confusions avec les avions secrets de la CIA, et que celle-ci avait même entretenu délibérément cette confusion. L'article du Figaro, dépourvu de tout recul critique, s'intitulait " La vérité sort des archives de la CIA. Les ovnis n'étaient que des espions volants ". Une thèse qui ne tient pas debout, comme l'a souligné l'ingénieur aéronautique Philip Klass, pourtant l'un des sceptiques les plus virulents contre les ovnis. Cela n'a pas empêché cette thèse de devenir partout une référence, citée en toute occasion. En bref, encore un coup dur pour l'ufologie.

En septembre 1997, paraît un nouveau dossier douloureux pour l'ufologie, onze pages dans L'Evénement du Jeudi. Titre en couverture : " Ils reviennent ! X-Files. La série qui rend dingue. Enquête sur l'idéologie du paranormal ". On y brocarde " une sous-culture peuplée d'ovnis, d'extraterrestres et de phénomènes inexpliqués ", les " adorateurs d'ovnis et les groupuscules extrémistes ". C'est sans surprise qu'on y trouve une fois de plus Lagrange, cité comme une autorité en la matière, avec son livre La rumeur de Roswell. On y apprend que c'est le sondage Roper qui avait inspiré Chris Carter, le père de X-Files. C'est vrai, semble-t-il, mais les chiffres du sondage ont gonflé pour l'occasion : " …3% des Américains (soit 7,5 millions d'habitants !) affirmaient avoir été enlevés par des extraterrestres… ". Dans ce dossier calamiteux, un inévitable article démolit Roswell et sa commémoration : " Etats-Unis : les obsédés de l'obscur ", avec ce sous-titre " Roswell, mai 1997 : Un condensé de mythologie soucoupique ". On y lit encore :

" Dans le magistral ouvrage qu'il a consacré à la célèbre " affaire " Roswell, le sociologue Pierre Lagrange a très bien montré comment, de la chute d'un objet brillant dans un champ du Nouveau-Mexique, on était passé à la création d'une nouvelle mythologie ".

1998 : un changement de ton ?

En 1998, certains on voulu voir un changement de ton chez Pierre Lagrange, avec un effort d'ouverture, à propos du " rapport Sturrock ", fruit d'une réunion de scientifiques, invités pour un séminaire par Laurance Rockefeller dans sa propriété de Pocantico. Dans un article de l'Evénement du Jeudi du 5 août 1998, intitulé " Pourquoi ils ne s'approchent pas trop près ", Lagrange écrit : " Conduits par Peter Sturrock, professeur de physique appliquée à l'université de Stanford, les chercheurs réunis pour l'occasion ont d'authentiques PhD et une réelle connaissance du dossier ovni. Ce qui les conduit, d'ailleurs, à beaucoup de prudence ".

Le sous-titre donne aussi une impression d'ouverture : " Pierre Lagrange explique pourquoi il ne faut pas tout jeter dans les histoires de soucoupes ".

Ah bon, est-on tenté de dire. Mais on trouve aussi dans cet article des commentaires réducteurs, comme : " Mais rien ne s'oppose en théorie à ce que des extraterrestres facétieux viennent nous rendre visite ". Et voici pour les ufologues qui n'ont pas encore compris le charme discret de Seti (la recherche de signaux intelligents) : " La plupart des " ufologues " sont des conspirationnistes un peu excités, mais certains d'entre eux – et ce pauvre public qui " mélange tout " - ont bien compris que Seti leur tendait la perche avec son principe de banalité.

Un mot d'explication est ici nécessaire. Ce " principe de banalité " implique justement qu'il n'y a pas de raison a priori pour que nous soyons seuls dans l'Univers. Seulement, l'ufologie n'y trouve pas son compte car les astronomes de Seti continuent à nier en bloc l'existence des ovnis (c'est préférable pour justifier leur recherche et obtenir des crédits…). En fait d'ouverture, l'article se termine avec un coup de patte contre les ovnis : " … si, dans l'avenir, quelqu'un voit apparaître dans le ciel une " machine " envoyée par une civilisation galactique, il y a de fortes chances pour qu'on la prenne encore pour une soucoupe volante ! ". Autrement dit, pour une " vésanie ", comme les appelle André Brahic dans son livre Les enfants du Soleil. On peut ainsi se demander si la meilleure chose à faire, pour ne pas troubler les scientifiques et leur laisser le temps de réfléchir, serait de ne plus parler du tout des ovnis ! Cela dit, reconnaissons que les agités du bocal ufologique n'aident pas à faire avancer les choses. Lagrange se fait d'ailleurs plus méchant dans la petite revue Anomalies de mars 1999, comme l'a remarqué Pierre Guérin dans son livre OVNI. Les mécanismes d'une désinformation (p. 204). La couverture de la revue annonce ainsi : " Dossier Ovnis : la science s'encanaille ". Et dans le dossier, ces scientifiques, " authentiques PhD ", se voient ici qualifiés de " bel aréopage de grincheux et de diplômés ". Quel langage sympathique !

1999 : la critique violente du Cometa

En juillet 1999, est publié sans annonce préalable le remarquable rapport du Cometa, Les Ovnis et la Défense. A quoi doit-on se préparer ? ", qu'il n'est pas nécessaire de présenter.

Ce rapport, dont tous les mots avaient été pesés soigneusement, avait été rédigé par un groupe d'auteurs de haut niveau. Il comprenait des officiers généraux, des ingénieurs généraux de l'armement, et des scientifiques. Notamment, Christian Marchal, chargé de la prospective à l'ONERA et professeur d'astronomie à l'Observatoire de Paris ; Alain Orszag, spécialiste des lasers ; Jean Dunglas, spécialiste d'hydraulique et des barrages. Un point important est que le Cometa ne se contentait pas de faire un rapport très solide sur la réalité des ovnis. Il abordait franchement la question cruciale du secret et de la désinformation, dénonçant comme suspects le film de l'autopsie et l'amalgame pratiqué dans les médias avec le dossier de Roswell, à la suite de Pierre Lagrange.

La réaction de se fit pas attendre. Trois jours plus tard, le quotidien Libération du 21 juillet publiait une page entière signée Lagrange, intitulée par dérision " Ovni soit qui mal y pense ", et dénonçant la désinformation du rapport, dès le sous-titre de son article :

" Entre " X-Files " et " Independance Day ", le rapport " d'experts " publié par " VSD " alimente la désinformation sur les ovnis en ridiculisant le sujet ".

Et pourquoi cela ? Parce qu'ils osaient évoquer comme plausible le crash d'un ovni à Roswell, et osaient parler de la désinformation américaine sur les ovnis. Autrement dit, pour Lagrange, évoquer la question de la désinformation, c'est faire de la désinformation !

A part un excellent article dans Ouest France, et quelques entretiens radiophoniques (RTL, Europe 2), la grande presse est restée silencieuse, ou a même manifesté son hostilité. L'hebdomadaire L'Express du 5 août citait Lagrange dans un article au vitriol, intitulé " Ovnis : un rapport délirant " : " Ce rapport passe par pertes et profits toute la réflexion récente sur les ovnis et accorde du crédit à des histoires que les ufologues américains rangent dans le folklore, se désole le sociologue Pierre Lagrange, probablement le meilleur connaisseur de l'ufologie... ".

Cette phrase, à elle seule, est un concentré étonnant d'erreurs, d'ignorance, et pour tout dire, de désinformation. On voit ici l'influence que peut avoir un " expert ", surtout s'il écrit ce que beaucoup de gens souhaitent entendre. Pierre Guérin n'a pas manqué d'analyser cet épisode dans son livre OVNI. Les mécanismes d'une désinformation, paru l'année suivante. Pour une analyse d'ensemble, en profondeur, on ne peut que recommander la lecture de l'excellent livre de François Parmentier, OVNI : 60 ans de désinformation (Editions du Rocher, 2004).

On peut cependant discerner des limites à cette influence. C'est le même journal Libération, celui qui avait ouvert si généreusement ses colonnes à Pierre Lagrange pendant plusieurs années, qui allait s'en distancier à l'occasion d'un dossier de quatre pages sur les ovnis, paru le 26 décembre. Il est vrai que c'était un dossier plutôt culturel et bon enfant, sur les " objets du siècle ", mais on y trouvait quand même un article élogieux sur le rapport du COMETA, dans lequel Lagrange se trouvait épinglé :

" Au grand dam de certains, tel l'ufologue Pierre Lagrange (Libération du 21 juillet 1999), lesdits experts notent en conclusion de leurs travaux : " L'hypothèse extraterrestre est de loin la meilleure hypothèse scientifique, elle n'est certes pas prouvée de façon catégorique mais il existe en sa faveur de fortes présomptions, et, si elle est exacte, elle est grosse de conséquences ".

Depuis 2000, un "nouveau " discours ?

Dans l'ufologie francophone, comme dans la presse, Pierre Lagrange a gardé une certaine audience, mais c'est peut être, dit-on ici et là, parce qu'il a évolué. De fait, on doit constater qu'il a développé, en gros depuis 2000, un argumentaire qui existait déjà en partie, comme cette idée déjà citée que, si les ovnis existent, les scientifiques auraient beaucoup de mal à les voir… Ses partisans mettent en avant des textes tels que " La vérité est ailleurs, ou comment tordre le cou à quelques idées reçues à propos des soucoupes volantes " (dans la revue de science-fiction Bifrost), et "Reprendre à zéro. Pour une sociologie irréductionniste des ovnis " (dans la revue belge de la SOBEPS Inforespace de juin 2000). Quels sont les nouveaux arguments ?

Dans l'article de Bifrost, Lagrange s'en prend à la " rhétorique des soucoupes ". Comprenez qu'il vise cette fois les arguments habituels contre les ovnis, employés dans le monde scientifique ainsi que par les ufologues sceptiques qui s'étaient tournés vers des interprétations " psychosociologiques " à partir de la fin des années 70, pour récuser même la possibilité des ovnis. Ces arguments sont notamment, explique Lagrange : " la soucoupe n'est pas un fait scientifique mais un fait de croyance " ; " les soucoupes sont un pur produit de la Guerre froide " ; " les témoins d'ovnis ont trop lu de science-fiction ", etc. En effet ! Ce sont des airs connus, mais c'est une " rhétorique " avec laquelle Lagrange lui-même a fait bon ménage pendant des années, comme nous l'avons vu ! D'où, sans doute, son expression "reprendre à zéro " dans son article d'Inforespace.

En 2002, nous retrouvons Pierre Lagrange, interviewé dans Le Figaro Magazine du 12 octobre, à l'occasion de la sortie, très médiatisée, du film Signes. Notons en passant que ce film commence bien mais finit mal : on y découvre avec stupeur que les " cercles dans les blés " sont des signes posés par de redoutables aliens qui se préparent à nous envahir, mais, heureusement, nous sommes protégés par le Tout Puissant ! Pas fameux, ce film, pour l'ufologie. Cela dit, le titre de l'article, qui cite Lagrange, suggère qu'il continue sa reconversion sur les ovnis : " Ce qui est bizarre, c'est de nier l'existence des soucoupes volantes ". Ah bon, se dit-on, voilà un intéressant renversement des rôles. Hélas, les questions et les réponses sont moins claires. A la question " Pourtant, les soucoupes appartiennent plutôt à un folklore de science-fiction, non ? " , Lagrange répond : "Certes, les soucoupes relèvent aussi de l'imaginaire. Mais alors qu'elles ont longtemps appartenu à la marginalité, elles représentent désormais une des figures majeures de notre culture ".

Subtile réponse, éludant la question de leur réalité. Il précise plus loin son idée. A la question " Le fait que beaucoup de gens célèbres croient à quelque chose ne suffit pas à la rendre réelle… ", Lagrange répond : " Entièrement d'accord. Ce que je veux dire, c'est qu'actuellement, le débat scientifique concernant la vie extraterrestre a atteint un tel niveau de réflexion qu'il apparaît presque bizarre de nier l'existence des soucoupes ! "

Eh oui, pourrait-on dire, Il va bien falloir qu'ils s'y mettent, les scientifiques. En dépit de ces pauvres " soucoupistes ", en quelque sorte. Sur ceux-ci, en effet, l'opinion de Lagrange n'a pas varié. En témoigne son vocabulaire, dans le livre La prophétie des ombres de John Keel, traduit de l'américain, qu'il a présenté et annoté en 2002. On y retrouve, à vrai dire sans surprise, toujours les mêmes expressions péjoratives, qu'a relevées Joël Mesnard (article " La volonté de nuire ", LDLN N° 365, sept. 2002). Ce sont, par exemple : " la faune bigarrée des milieux soucoupistes " (p. 8) ; les " ufologues un peu fêlés et amateurs de contacts extraterrestres " (p. 8) ; " des groupes d'amateurs " (p. 10) ; des " ufologues de tout poil " (p. 14), sans oublier ces bons vieux " soucoupistes " de la vieille école (pp. 15, 18, 22). En l'occurrence, ce mépris des ufologues et de l'ufologie ne manque pas de sel, s'agissant ici, dans le cas de John Keel, d'un ufologue américain particulièrement " fêlé ", pour reprendre son propre terme !

Confusion entre secret et complot

Toujours en 2002, Lagrange va saisir une nouvelle occasion de dénoncer les théories soucoupistes du " complot ", en les mettant dans le même sac que le livre de Thierry Meyssan sur le 11 septembre, L'effroyable imposture, qui fait alors scandale, avec en prime les théories négationnistes. Libération du 30 mars 2002 titre : " Le sociologue Pierre Lagrange décrypte les mécanismes de " l'Effroyable Imposture " : La même rhétorique que le négationnisme ". Quel est le rapport avec les ovnis ? A la question de la journaliste " Pourquoi l'opinion est-elle aussi sensible à de telles opérations ? Lagrange répond : " Ce phénomène n'est pas typique des Français. Soupçonner le gouvernement de cacher des choses est un sport national américain. Souvenons-nous de l'affaire de Roswell, cet accident supposé d'un ovni dans le désert du Nouveau-Mexique en 1947. Sans parler de toutes les théories sur l'assassinat de Kennedy ou sur l'idée que l'homme n'a jamais mis le pied sur la Lune ".

Heureusement, Lagrange explique plus loin que ceux qui croient à l'existence de secrets sur les ovnis ont quelques excuses, à cause du déni systématique des autorités : " A force de dire aux " soucoupistes " qu'ils n'avaient pas de preuves, certains d'entre eux ont fini par répondre qu'on les leur cachait ". Mieux encore, " ces rumeurs circulent souvent au sein de nombreux réseaux (pompiers, pilotes, etc.) et d'agences officielles ".

Voilà donc quelques " excuses " pour ces pauvres " soucoupistes ", mais l'idée d'une équivalence Roswell – Meyssan – négationnisme est quand même plantée dans l'esprit du lecteur. Démonstration : le Nouvel Observateur du 11 juillet 2002 fustige également le livre de Thierry Meyssan dans l'article " Les sornettes de "L'effroyable Imposture" ", avec ce sous-titre : " De la soucoupe de Roswell au 11 septembre ". Bien entendu, l'article s'appuie sur Lagrange et son livre La rumeur de Roswell pour faire cet amalgame saisissant entre une théorie fantastique et le dossier de Roswell, certes encore controversé, mais bien plus solide que le croient la plupart de gens, désinformés depuis des années. Dans son livre OVNI : 60 ans de désinformation, François Parmentier a bien démonté cette rhétorique qui incite à confondre les notions de secret et de complot (p. 52).

En 2003, cet amalgame réapparaît dans le livre Noirs complots, recueil de nouvelles éditées par Pierre Lagrange. Dans son introduction, Lagrange reprend également son idée que les hommes n'arriveraient pas à identifier des artéfacts d'origine extraterrestre, et il en tire argument contre la thèse d'un crash d'ovni à Roswell (p. XII): " Au contraire, s'il s'est passé quelque chose en 1947, cela relève forcément de l'incompréhensible absolu. Tout comme l'intrusion d'une primatologue au milieu d'une troupe de babouins est pour ces derniers une source d'incompréhension. Il n'y a donc pas eu complot car personne n'a perçu et identifié le fait ".

Il ne manque pas de sel, cet argument. Car, jusqu'à nouvel ordre, l'armée de l'Air américaine soutient exactement le contraire : que les aviateurs de Roswell, un peu excités sans doute, avaient pris des baguettes de balsa pour des poutrelles de soucoupe extraterrestre ! Ajoutons qu'un certain nombre d'auteurs, sans doute plus intelligents que des babouins, ont supposé depuis longtemps que nous pourrions être un objet d'étude pour des civilisations extraterrestres.

Loin de cette rhétorique médiatique, notons pour finir que, en septembre 2005, Yves Sillard, nommé président du comité de pilotage du GEIPAN, le nouveau service d'études des ovnis remis en place au CNES, a évoqué cette question de la désinformation , responsable selon lui des critiques ayant affaibli le GEPAN, qu'il avait créé en 1977, puis le SEPRA, qui avaient bien fonctionné au début. Dans son entretien du 29 septembre à la radio RFI, il a clairement désigné la politique américaine : " … une politique délibérée et savamment orchestrée de désinformation ".

Gildas Bourdais

jeudi 20 octobre 2005

Roswell, et un livre de Nick Redfern

(Cet article est également consultable ici : http://www.ovni.ch/guest/bourdais3.htm)

Roswell, et le livre de Nick Redfern: nouvelle explication, ou nouvelle désinformation?

par Gildas Bourdais, octobre 2005

Depuis juin 2005, il y a maintenant deux théories principales en compétition qui prétendent offrir une explication de l'incident de Roswell en excluant l'accident d'un ovni: - la théorie du train de ballons "Mogul", promue par l'US Air Force et quelques auteurs depuis 1994, et largement acceptée dans les grands médias; - une nouvelle théorie, due à l'ufologue britannique Nick Redfern, avec son livre Body Snatchers in the Desert. The Horrible Truth at the Heart of the Roswell Story (1). En un mot, quelques informateurs confidentiels (whistle-blowers) lui ont révélé que, derrière la "légende" du crash d'un ovni à Roswell, se cache une vraie histoire d'expériences faites sur des prisonniers japonais handicapés, si horribles qu'elles devaient rester cachées à tout prix. Le titre curieux de ce livre sera expliqué plus loin.

Couverture du livre de Nick Redfern

Cette nouvelle histoire, aussi étrange qu'elle paraisse, demande un examen attentif, étant donné la notoriété de l'auteur, qui a écrit plusieurs bons livres sur les ovnis, dont l'un a pour sujet les accidents d'ovnis, publié en 1999: Cosmic Crashes. The incredible story of the UFOs that fell to Earth (2). Il est aussi l'auteur de beaucoup d'articles et de conférences.

Une remarque préliminaire est que les deux théories ne peuvent pas être vraies toutes les deux. Au moins l'une des deux doit être fausse! Il n'est pas surprenant que l'un des principaux promoteurs de l'explication "Mogul", Karl Pflock, ait déjà exprimé fortement son désaccord, avec sa verve habituelle, dans une lettre ouverte intitulée "Attaque des mutants mongoloïdes!". Je vais soutenir ici que les deux théories sont fausses et que, par conséquent, l'hypothèse d'un crash d'ovni, près de Roswell en 1947, tient toujours.

Nick Redfern: Body Snatchers in the Desert

Une étrange histoire racontée par des informateurs anonymes

Voici le résumé de l'histoire de Roswell selon Nick Redfern, légèrement abrégée, donnée par l'auteur lui-même en conclusion de son livre Body Snatchers in the Desert (pages 207 et 208):

"En mai 1947, des essais en vol d'un avion expérimental, issu des recherches révolutionnaires des frères Horten en Allemagne, eurent lieu à White Sands, Nouveau-Mexique." En bref, cela faisait partie d'un plus vaste projet, débuté en 1946, ayant pour objectif la construction d'un avion à propulsion nucléaire.

"A bord de ce véhicule se trouvaient des personnes physiquement handicapées qui avaient été trouvées dans les restes des laboratoires de l'Unité militaire japonaise 731, et qui furent utilisées dans cette expérience sombre et troublante - dont l'objectif était d'essayer de mieux comprendre les effets d'un vol à propulsion nucléaire sur un équipage. L'expérience tourna au désastre lorsque l'avion s'écrasa à White Sands, tuant une partie de l'équipage".

"Deux mois plus tard, au début de juillet 1947, un second et semblable véhicule fut de nouveau essayé en vol à White Sands. Cette fois, l'avion était accroché à une grande grappe de ballons issue de concepts de ballons Fugo développés par les forces japonaises durant les dernières années de la seconde guerre mondiale. L'avion était piloté par un équipage japonais qui avait été spécialement entraîné pour cette tâche, et qui s'était écrasé près du ranch Foster après avoir été frappé par un coup de foudre catastrophique. L'appareil, du type "lifting body", les constituants de ballons et les corps de l'équipage, furent récupérés dans le plus grand secret et l'opération fut masquée, soit délibérément, soit fortuitement - derrière un écran de fumée d'histoires de soucoupes volantes écrasées. Ce sont ces deux incidents (et, comme le suggèrent des témoignages confidentiels fournis dans ces pages, peut-être plusieurs autres dans la région de White Sands et les environs au début de l'été 1947) qui ont conduit à la légende de l'incident de Roswell".

Une théorie "expliquant" tous les témoignages de Roswell

Une première réaction est celle de la perplexité, face à une histoire aussi bizarre, qui, selon l'auteur, lui a été révélée de 1996 à 2003 par plusieurs informateurs de l'intérieur, qui restent anonymes dans le livre. Au début, Redfern ne les a pas cru mais il s'est convaincu en voyant que des sources indépendantes lui racontaient la même histoire. En tout cas, elle semble offrir une explication globale de l'affaire de Roswell, prenant en compte tous ses aspects, même les plus controversés. L'histoire du premier crash, par exemple, semble expliquer le récit très controversé du mystérieux caméraman qui, suppose-t-on, avait vendu le fameux film de "l'autopsie d'un extraterrestre" au producteur britannique Ray Santilli, diffusé en 1995. On y trouve les principaux éléments de l'histoire: - la date, mai 1947; - le lieu, près de White Sands (à peu près); - la description de l'appareil, une sorte d'avion sans ailes; - la description des "aliens" par le caméraman (qui les appelait des "monstres"!), et le corps du film de l'autopsie par la même occasion; - la dangereuse radioactivité sur le site du crash, racontée par le caméraman.

Cet aspect "atomique" est très important dans la théorie de Redfern. Selon ses informateurs, elle était due au chargement de matériaux radioactifs à bord, pour une terrible expérience d'irradiation en vol. En plus, elle était censée se dérouler à très haute altitude pour évaluer de mystérieux effets de "mutation". Les victimes sélectionnées pour cette affreuse expérience étaient des gens sévèrement handicapés, mentalement retardés, anciens prisonniers des Japonais pour d'horribles expériences de guerre biochimique en Mandchourie pendant la seconde guerre mondiale. Selon Redfern et ses informateurs, c'est cette "connexion japonaise" qui devait rester secrète "à tout prix". Dernier détail, il n'y avait pas de ballon pour cette première expérience (de fait, le caméraman n'en avait pas vu). L'appareil était remorqué par un DC-3, (ou plutôt un C-47, la désignation militaire correcte), et se propulsait ensuite par lui-même (on ne nous dit pas comment). Je vais revenir sur cette aventure aéronautique très spéciale.

Le second crash est le plus fameux, c'est celui de Roswell. Cette fois, l'appareil est accroché à une énorme grappe de ballons, dérivée de projets avancés "Fugo" japonais (Fugo était le nom des ballons porteurs de bombes de la seconde guerre mondiale) qui va "expliquer" le fameux champ de débris du ranch Foster. Cette fois, il n'y a pas d'expérience "atomique". Si vous connaissez bien l'affaire de Roswell, vous vous rappellerez que le commandant Marcel avait vérifié avec un compteur Geiger que les débris n'étaient pas radioactifs. De nouveau, l'histoire de Redfern semble bien coller avec les témoignages de Roswell. Mais une conséquence de cela est qu'il n'y a plus de raison de transporter des personnes handicapées. Ainsi, explique Redfern, ce sont des Japonais normaux pour ce second vol, entraînés comme pilotes pour tester ce bizarre assemblage de ballons et d'avion.

Pouvons-nous croire cette histoire? Eh bien, elle comporte de grosses lacunes, comme nous allons le voir. La première, et sans doute la plus grosse, est qu'il était impossible pour les militaires américains de ramener aux Etats-Unis des prisonniers de Mandchourie. Voici pourquoi.

Ballon "Fugo" japonais

L'impossible lien avec les expériences japonaises en Mandchourie

Les horribles expériences de guerre biologique en Mandchourie

Voici, retracée brièvement, l'histoire des expériences japonaises de guerre biologique en Mandchourie (5).

1932 - Les troupes japonaises envahissent la Mandchourie. Shiro Ishii, un médecin militaire qui était intrigué par la guerre bactériologique, commence des expériences préliminaires.

Le général Ishii

1936 - L'Unité 731, une unité de guerre biologique camouflée en unité de purification de l'eau, est formée. Ishii construit un vaste complexe - plus de 150 bâtiments sur six kilomètres carrés - aux environs de la ville de Harbin (à Pingfan). Quelque 9'000 sujets testés, que Ishii et ses collègues appelaient des "logs", vont mourir dans ce complexe.

Installations de Pingfan, près de Harbin en Mandchourie

1942 - Ishii commence des essais de guerre bactériologique sur le terrain, contre des soldats et des civils chinois. Des dizaines de milliers d'entre eux meurent de peste bubonique, de choléra, d'anthrax et d'autres maladies. Des soldats américains capturés dans les Philippines sont envoyés en Mandchourie.

1945 - Les troupes japonaises font sauter les bâtiments de l'Unité 731 dans les derniers jours de la guerre du Pacifique. Ishii donne l'ordre de tuer les 150 derniers "logs" pour cacher leurs expériences. Le général Douglas MacArthur est nommé commandant en chef des forces alliées au Japon.

1946 - Les Etats-Unis commencent à négocier un accord secret avec Ishii et les responsables de l'Unité 731 - informations sur les données de la guerre bactériologique obtenues lors des expérimentations humaines, en échange de l'immunité contre des poursuites pour crimes de guerre. Cet accord sera conclu deux ans plus tard.

Pas de prisonniers de l'Unité 731

Tournons-nous à présent vers l'histoire de Redfern. Selon sa source "Levine" (p. 85): "Quand les Japonais se rendirent à la suite de la destruction atomique de Hiroshima et de Nagasaki en 1945, un certain nombre de ces (victimes) et "une quantité de gens encore vivants" furent trouvés par les soldats alliés dans les restes des installations de l'Unité 731 (et aussi dans des laboratoires allemands). Ces restes furent ensuite transférés aux laboratoires de Los Alamos, Nouveau Mexique, où ces recherches sombres et inquiétantes furent poursuivies."

D'autres informateurs ont raconté à Nick Redfern la même histoire. Il y a là un gros problème: cette histoire est contredite radicalement par toutes les sources et études historiques. Dans ses références, Redfern cite le livre de Peter Williams et David Wallace Unit 731: Japan's Secret Biological Warfare in World War II (traduit en français sous le titre La guerre bactériologique) (6).

C'est une histoire très complète de ces horribles expériences, qui raconte clairement ce qui s'est passé à la fin de la guerre. Lorsque l'armée soviétique a commença à envahir la Mandchourie, le 9 août 1945, dès le lendemain, les Japonais détruisirent tous les bâtiments des Unités 731 et 100, et tuèrent tous les prisonniers. Ils avaient l'ordre de détruire toute trace des expériences, et de ne jamais en parler.

Cette version est confirmée dans le résumé cité ci-dessus, et dans d'autres livres, par exemple The Pacific War de l'historien japonais Saburo Ienaga (7). Ce livre a été approuvé par de grands journaux américains. Voici ce qu'il dit (pp. 188, 189): "Selon d'anciens membres de l'unité, lorsque l'Union Soviétique est entrée en guerre le 8 août 1945, les Japonais se sont efforcés de détruire toute trace des activités de l'Unité 731. On donna aux prisonniers "Maruta" (l'autre nom qu'on leur donnait) de la nourriture contenant une dose de cyanure de potassium: ceux qui ne la mangeaient pas furent tués à la mitrailleuse. Leurs corps furent jetés dans une fosse creusée dans une large cour de l'Unité. On les arrosa d'essence et on y mit le feu. Comme il y avait un grand nombre de cadavres, ils ne brûlèrent pas complètement. Les corps calcinés furent mis dans un concasseur. Les ingénieurs dynamitèrent les bâtiments et tous les équipements, et les matériels sensibles furent brûlés. On donna au personnel de l'Unité 731 la plus haute priorité pour l'évacuation vers le Japon, avant les restes de l'armée de Kwantung et les autres unités".

l'Union Soviétique déclara la guerre le 8 août et commença à envahir la Mandchourie le jour suivant. L'invasion fut terminée en quelques jours, avec une énorme armée (plus de 5'000 chars, etc.), et il était tout à fait impossible que les soldats américains arrivent là avant eux, de toutes façons.

Carte de la fin de la guerre du Pacifique

Le premier enquêteur américain, le lieutenant-colonel Sanders, jeune bactériologiste de Camp Detrick dans le Maryland, qui arriva au Japon une semaine après sa reddition, interrogea de nombreux responsables pendant trois mois, mais il fut trompé par son interprète, le lieutenant-colonel Naito, qui était un ancien étudiant du général Ishii, le chef du programme de guerre bactériologique. Cependant, Sanders découvrit vers le mois de septembre 1945 que l'Unité 731 avait été impliquée dans des expérimentations humaines, et il commença à en informer le général MacArthur.

Ishii et Sanders

Ishii proposa alors de fournir des informations scientifiques sur ces expériences en échange d'une immunité complète, pour lui et ses collègues, qui lui fut finalement accordée. Sur cette question, Redfern est, apparemment, de nouveau dans l'erreur quand il écrit que des quantités "massives" de documentation furent trouvées en 1945. En fait, selon Williams et Wallace, les autorités américaines discutaient encore en 1947 de l'opportunité de passer un tel accord avec Ishii, qui avait été recommandé par le général MacArthur. L'accord fut conclu l'année suivante en dépit d'un avis négatif du Département d'Etat. Cela met donc sérieusement en question l'affirmation de Nick Redfern qu'une documentation "massive" avait été trouvée dès 1945. Mais il y a un autre aspect qui le met en difficulté au sujet des prisonniers japonais.

Pas de prisonniers handicapés

Une autre différence importante tient à l'emploi prétendu de gens handicapés pour toutes ces expériences, selon les informateurs de Redfern. C'est un élément important de la théorie car il est censé expliquer l'allure étrange des victimes du crash (tout au moins du premier), et il est répété tout au long du livre (au moins seize fois, depuis la page 6 jusqu'à la page 207). Mais c'est faux! En fait, les expérimentateurs de l'Unité 731 préféraient avoir des sujets en bonne santé: "Si vous ne travaillez pas sur un sujet en bonne santé, vous ne pouvez obtenir de résultats" (8). Ainsi, la véritable histoire de l'Unité 731 semble très différente de celle que l'on trouve dans Body Snatchers. Curieusement, dans le débat qui s'est ouvert en juillet sur le forum Internet "UFO Updates", lorsque je l'ai questionné là-dessus, Redfern n'a pas répondu. Au lieu de cela, il a insisté sur le fait qu'il y a des documents prouvant que des expériences d'irradiation humaine ont été menées après la guerre. C'est exact, mais c'est une autre histoire!

L'enquête ACHRE, le projet "Sunshine" et les "Body Snatchers"

En 1994, le Président Clinton a constitué un "Comité consultatif sur les expériences d'irradiation humaine" (ACHRE) qui a mis à jour une longue histoire d'expériences secrètes d'irradiation humaine conduites de1944 à 1974. Redfern en parle dans son livre, et tout cela est vrai, mais il insiste sur un projet très spécial, appelé "Sunshine", qui fut proposé en 1955 (pp. 164 à 166). C'était un plan pour récolter des squelettes pour ces expériences, par tous les moyens et acheminements possibles, et on avait surnommé cela de la "saisie de corps" ("body snatching") d'où le titre bizarre du livre. Redfern admet que ce projet de "body snatching" n'avait rien à voir avec Roswell, mais il soutient que c'était "très semblable aux expériences très secrètes, liées à Roswell", décrites dans son livre. Ceci est typique de la manière de raisonner de Redfern. Puisqu'il y avait un tel projet secret dans les années 50, cela veut dire que son histoire de Roswell était possible. Cependant, cet argument d'expériences secrètes d'irradiation peut être retourné contre son livre: les documents rassemblés par la commission ACHRE, qui recensent le nombre assez accablant de quelque 3'000 expériences d'irradiation humaine, ne mentionnent pas du tout ces expériences alléguées de White Sands!

Schéma d'expérience d'irradiation humaine

Ainsi, une simple question peut être posée, à la lumière du rapport ACHRE. Pourquoi cacher à tout prix ces expériences supposées de White Sands, alors que toute l'histoire des expériences semblables a été rendue publique? Quand j'ai posé cette question à Redfern, il a souligné une fois de plus que c'était "l'angle" japonais avec ses horribles expériences en Mandchourie, qui était la cause de ce secret extrême. Mais, comme nous l'avons vu, c'est un argument impossible.

Par une curieuse coïncidence, un nouveau témoignage anonyme a fait surface en août sur Internet, avec une histoire très semblable à celle de Redfern, mais sans Japonais. Dans cette nouvelle version, les cobayes humains étaient de pauvres gens sans domicile et sans défense, pris ici et là. Et les expériences avaient été faites par des médecins nazis amenés à White Sands dans le cadre du programme "Paper clip", tout comme les spécialistesdes fusées. Cette nouvelle version n'a guère plus de sens. Le procès de Nuremberg venait de condamner les principaux chefs nazis pour crimes de guerre, en 1946, mais ça ne fait rien, recommençons, avec les mêmes médecins fous! Il suffit de dire que cette nouvelle histoire, lorsqu'elle a été publiée sur la liste "UFO Updates", n'a été soutenue pratiquement par personne (9).

Des prisonniers humains auraient été identifiés comme humains

Un autre argument peut être mis en avant sur cet "angle japonais", sans même parler de son impossibilité. Si ces expériences de White Sands avaient été faites avec des prisonniers japonais - ou plutôt avec des Chinois - ils auraient été identifiés comme tels lorsqu'on les aurait trouvés dans les environs de White Sands ou de Roswell. Même s'ils avaient été génétiquement handicapés. J'ai débattu de ce point avec Redfern sur Internet, et il avait une réponse à cela. Contrairement à l'impression générale donnée par le livre, dans lequel il mentionne tout le temps les handicapés pour expliquer la confusion avec "aliens" de Roswell, il n'y avait pas de handicapés dans le second crash, près de Roswell! Je confesse que, comme certains lecteurs, je ne m'en étais pas rendu compte en première lecture. Mais alors, comment les gens de Roswell avaient-ils pu faire une aussi lamentable confusion? Eh bien, la réponse selon Redfern est qu'ils ne les avaient pas trouvés. Les corps avaient été retrouvés et récupérés secrètement par les gens de White Sands, explique-t-il. Et la légende des corps "alien" trouvés à Roswell s'est formée plus tard par une fusion avec des rumeurs provenant de White Sands et ses victimes handicapées. C'est une explication astucieuse, mais quelle est sa crédibilité? En fait, la question demeure de savoir s'il aurait pu y avoir une telle confusion avec des corps de victimes handicapées, qu'on aurait pris par erreur pour des "aliens", que ce fusse à White Sands ou à Roswell. C'est là que Redfern introduit dans son livre le fameux film de l'autopsie d'un extraterrestre ("Alien Autopsy Footage"), comme une sorte de preuve visuelle de son histoire.

Le film de l'autopsie "alien" ne montrait pas un corps humain

Selon les mystérieux informateurs de Redfern, le film de l' "autopsie d'un alien", diffusé en août 1995, montrait en fait l'une des victimes handicapées du crash de White Sands!

Le film de l'autopsie de 1995

Cette question a déjà été longuement débattue et la plupart des experts ont écarté l'idée d'un humain souffrant d'une maladie génétique, mais Redfern et ses informateurs donnent de nouveau cette explication (p. 92), citant pêle-mêle le syndrome de la progeria de Hutchinson-Gilford, le syndrome de Werner, et le syndrome de Ellis-van Creweld. Mais il suffit de bien regarder des photos de victimes de la progeria pour voir qu'ils sont identifiables comme des êtres humains en dépit de leurs défauts génétiques, ce qui n'est pas le cas de l'étrange corps du film. De plus, une simple objection peut être faite: si c'était un corps humain, il n'aurait pas été nécessaire de porter des vêtements de protection complets comme dans le film! A moins que le film soit un canular total, mais ce n'est pas du tout ce que dit Redfern. Ainsi, l'idée que c'était un corps humain provenant des expériences de White Sands semble dépourvue de sens.

Syndrome de la progeria

Syndrome de Werner

Syndrome d'Ellis-van Creweld

Essais d'irradiation en vol: dangereux, insensés et presque impossibles

En dépit de tous les problèmes déjà évoqués, voyons à présent la thèse centrale du livre, les horribles expériences, très secrètes, d'irradiation humaine à White Sands. Nick Redfern révèle un aspect stupéfiant de ces expériences: son principal informateur, le "colonel", lui a dit (p. 108): "Un dispositif expérimental de protection et une certaine quantité de matières radioactives furent utilisés pour simuler d'aussi près que possible l'intensité à prévoir lorsque l'on disposerait d'une source d'énergie nucléaire. Cela a mal fonctionné et s'est écrasé. Tels sont les faits".

Ainsi, dans le but de tester les effets de l'irradiation, des matières radioactives avaient été installées à bord. Seul le pilote était protégé. Quel cauchemar! Quelle dangereuse expérience, ne serait-ce que pour les techniciens chargés de l'installer. Et, pourquoi faire cela à haute altitude, avec de si grandes difficultés? Incidemment, dans le livre, Redfern et ses informateurs insistent sur l'aspect "haute altitude" de l'expérience. Cependant, au cours du débat qui a eu lieu sur UFO Updates, il semble avoir abandonné cette idée. Et que dire du risque de révélation publique de cette expérience hautement secrète, en cas d'accident?

Voici une autre question que soulève ce livre. Redfern cite une autre version, également évoquée par le "colonel" (p. 106): "un dispositif avait été incorporé au véhicule qui était conçu pour convertir en énergie électrique, la chaleur produite par une pile atomique". S'agissait-il seulement de matériau radioactif (p. 108), ou d'une pile atomique (p. 106)? Je dois avouer que je n'avais pas remarqué cette première version en première lecture, simplement parce que cela semblait si incroyable. Il est bien connu qu'il n'existait aucun avion avec un moteur nucléaire à cette époque. Certes, il y eut quelques projets dans les années 50, mais qui furent abandonnés au début des années 60. Les seuls essais en vol ont consisté à installer une pile atomique à bord d'un grand bombardier NB-36H, sans même essayer de s'en servir pour la propulsion. L'appareil était toujours doté de moteurs classiques. Il y avait une lourde protection pour l'équipage. Ce n'était qu'une petite pile, et pourtant l'ensemble pesait environ 16 tonnes! Le premier vol eut lieu le 17 septembre 1955, à Fort Worth. Il y eut 47 vols, après quoi les parties contaminées de l'appareil furent démontées et enterrées. Ce fut une dangereuse expérience.

Le bombardier NB-36H

Une impossible histoire aéronautique

Pas d'avion Horten, ni de "lifting bodies", en 1947

Citons encore le résumé final (p. 207): "En mai 1947, un avion expérimental, conçu à partir des recherches révolutionnaires des frères Horten en Allemagne, fut essayé en vol à White Sands, au Nouveau-Mexique. Il faisait partie d'un plus vaste projet, commencé en 1946, de construction d'un avion à propulsion nucléaire".

Le problème est que, selon toutes les sources crédibles, il n'existait pas un tel avion en 1947! Les Américains avaient bien trouvé et rapporté aux Etats-Unis un prototype Horten non terminé, le Horten H IX, équipé de deux réacteurs. Il y avait en Allemagne, à la fin de la guerre, deux modèles d'ailes volantes Horten à réaction: le Horten H IX V2, dont le premier vol eut lieu le 18 février 1945, mais qui s'écrasa en tuant le pilote à cause d'une panne de moteur; le Horten H IX V3, qui était le modèle embarqué aux Etats-Unis. Mais il n'était pas terminé, et ne le fut jamais.

L'aile volante Horten H IX V3

Les ingénieurs américains n'étaient pas intéressés, sans doute pour la simple raison qu'ils avaient déjà les ailes volantes Northrop, faisant l'objet d'essais en vol (avec beaucoup de problèmes). Et, au fait, pas à White Sands, où il n'y avait qu'un aérodrome rudimentaire, mais à Muroc Dry lake (plus tard Edwards AFB) en Californie, qui était le seul lieu adéquat pour tester de tels appareils rapides. Redfern dit maintenant que c'était en fait un appareil japonais, "analogue aux Horten". Mais il n'a absolument aucune preuve de cela!

Voyons maintenant les "lifting bodies". Cette expression correspond à des appareils sans ailes qui ont été testés beaucoup plus récemment, de 1963 à 1975, en vue de l'étude de véhicules de rentrée atmosphérique comme la navette spatiale. L'idée originale fut conçue à la NASA en 1957, par le Dr Alfred J. Eggers Jr, selon la feuille d'information de la NASA sur les "lifting bodies" (10). En tout cas, ces petits planeurs rapides, monoplaces, n'étaient pas l'idéal pour transporter une équipe de prisonniers japonais handicapés, dans le plus grand secret, avec un chargement de matériaux radioactifs, accrochés sous un énorme ballon ou remorqués par avion C-47, à White Sands en 1947! En revanche, ils ressemblent un peu à des descriptions de l'ovni de Roswell faites par certains témoins, et c'est évidemment la raison pour laquelle ils sont évoqués dans le livre de Redfern.

Lifting Body: le Northrop HL10

Ballon et avion: un douteux assemblage aéronautique

Citons encore le résumé final pour le second crash, près de Roswell (pp. 207, 208): "Deux mois plus tard, au début de juillet 1947, un second et semblable véhicule fut de nouveau essayé en vol à White Sands. Cette fois, l'avion était accroché à une grande grappe de ballons issue de concepts de ballons Fugo développés par les forces japonaises durant les dernières années de la seconde guerre mondiale. L'avion était piloté par un équipage japonais qui avait été spécialement entraîné pour cette tâche, et qui s'était écrasé près du ranch Foster après avoir été frappé par un coup de foudre catastrophique."

Il y a une objection évidente, dès le départ, à ce second scénario. Le risque que cette expérience condamnable avec des prisonniers de guerre soit révélée publiquement aurait été encore plus élevé, en particulier si la grappe d'énormes ballons Fugo (beaucoup plus grande que les trains Mogul de petits ballons-météo) était entraînée par le vent là où il ne fallait pas. Quid d'un risque de crash dans une zone peuplée? Mais les expérimentateurs ont eu de la chance: le ballon et l'avion, dans le scénario de Redfern, avaient atterri dans la région plutôt désertique de Roswell. Cependant, un aussi étrange assemblage, avec ses énormes ballons et un curieux avion accroché en dessous, aurait été pratiquement impossible à cacher aux yeux des curieux dans la région de White Sands.

Il y a une objection plus radicale encore à cette histoire, qui est de constater combien une telle expérience aurait été dangereuse et maladroite, d'un pur point de vue aéronautique. L'idée d'accrocher un petit avion rapide à une grande grappe de ballons, c'est comme d'essayer de marier une carpe et un lapin! Au début du débat sur UFO Updates, Robert Durant, ancien pilote de ligne et instructeur de vol, a posé cette question, mais Redfern l'a esquivée. Le scénario du crash semble également très acrobatique. Selon Redfern et ses mystérieux informateurs, l'appareil et le ballon (qui étaient censés atteindre une très haute altitude pour des tests de "mutation") furent pris dans une tempête et frappés par la foudre. Mais le physicien Bruce Maccabee a fait observer que, confronté à une aussi dangereuse situation, n'importe quel pilote l'aurait évitée en séparant l'avion du ballon, ce qui ne fut pas le cas dans l'histoire de Redfern.

Dans le scénario de Redfern, une partie de l'avion désemparé et, sans doute, la plupart des ballons, furent arrachés dans la tempête, avec l'un des Japonais qui fut éjecté de l'avion. Ils atterrirent ensemble sur le ranch Foster cependant que le corps principal de l'appareil, contenant le reste de l'équipage, alla s'écraser environ trente kilomètres plus loin, où il fut ensuite récupéré secrètement par les gens de White Sands. On ne voit pas très bien comment l'un des membres de l'équipage avait réussi à s'agripper à un morceau de l'avion et aux ballons. Mais ils étaient coriaces, comme dit le colonel (p. 110): "c'étaient de fiers petits salopards!".

Débris de ballons et d'avion: faciles à identifier, comme pour Mogul

Dans cette nouvelle explication de Roswell, nous trouvons de nouveau le problème, comme dans l'histoire de Mogul, des gens de Roswell supposés être incapables d'identifier un ballon, ou une grappe de ballons. Cette question est maintenant aggravée par l'addition de débris d'un petit avion, qu'il soit en bois ou métallique, ou qu'il n'y en ait qu'un fragment. L'argument de ballons faits de polyéthylène couvert d'une feuille d'aluminium, mis en avant par Redfern dans son livre, ne peut pas du tout expliquer les descriptions de feuilles très solides, impossibles à déchirer et pourtant éparpillées en une multitude de petits morceaux comme s'ils résultaient d'une violente explosion. De plus, ils étaient impossibles à brûler. Ils ne correspondent pas du tout à une enveloppe de ballon.

Dans le débat à UFO Updates, David Rudiak a pressé Redfern de questions embarrassantes sur les débris, comme il l'avait fait précédemment sur Mogul. Alors, Redfern a présenté tout d'un coup un nouvel élément fourni par ses informateurs: il venait d'apprendre que, pour le vol vers Roswell, des feuilles d'aluminium, ou "leurres", avaient été testées pour tromper les radars. Ainsi, cet élément nouveau et providentiel expliquerait les feuilles à l'allure d'aluminium trouvées sur le ranch Foster! Cependant, il n'y avait aucune raison logique de cacher ce vol aux radars. Au contraire, il y avait toutes les raisons de le suivre! De plus, dans le scénario d'un accident avec une violente tempête, les feuilles d'aluminium auraient été dispersées sur une large zone, pas seulement sur le champ de débris du ranch Foster. Quoi qu'il en soit, ces feuilles d'aluminium, semblables à celles des emballages de cigarettes, étaient très banales, et ne correspondent pas davantage aux descriptions des témoins.

Une contradiction majeure: l'horrible secret révélé par… des agents secrets!

Les curieux informateurs de Nick Redfern, depuis 1996.

Il y a, en fait, deux grosses contradictions dans ce livre. Nous venons d'en voir une. Des expériences d'irradiation humaine ont bien été faites, mais elles ne sont plus secrètes. Donc, pourquoi maintenir le secret? L'"angle japonais" d'horribles expériences de guerre bactériologique ne tient pas. La seconde contradiction est: pourquoi tout un groupe d'agents secrets auraient-ils révélé l'horrible secret - "à cacher coûte que coûte" - à un simple ufologue comme Nick Redfern, comptant bien qu'il allait le publier, et même l'encourageant à le faire? L'un d'eux, "Levine", qui a été son premier informateur en 1996, lui avait demandé de garder l'histoire secrète jusqu'à la fin de l'an 2000! (p. 87)

L'un des aspects les plus discutables de l'histoire de Redfern est que tous ses informateurs sont, d'une manière ou d'une autre, liés à des services secrets, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Les voici, dans l'ordre chronologique:

En août 1996, à Londres, M. "Levine" (pp. 79-81), est un agent du Ministère de l'Intérieur (Home Office). Ses collègues sont M. "T", agent de renseignement au Ministère de la Défense (MOD) et M. "D", un agent de la CIA. Ils lui montrent une version longue du film de l'autopsie, divulgué l'année précédente.

En juillet 2001, à Los Angeles, une vieille dame qu'il appelle la "Veuve Noire", l'approche à la fin d'une conférence (chapitre 1). Elle dit qu'elle a travaillé sur des "projets spéciaux" à Oak Ridge du milieu des années 40 au début des années 50.

L'année cruciale semble être 2003, avec:

- Le "colonel", en novembre 2003. Il est l'informateur principal (chapitre 10). Il dit qu'il a "passé quinze ans en opération au cœur du Renseignement américain"; - "Bill Salter", le 6 décembre 2003 (p. 90). Il est un ancien employé du Bureau de Stratégie psychologique (Psychological Strategy Board). Il a rencontré à Oak Ridge un homme "employé dans un poste de renseignement secret", qui avait "travaillé précédemment pour le Groupe central de Renseignement (Central Intelligence Group, CIG). Salter avait aussi été informé par "un vieil ami du Ministère de l'Energie (DOE)"; - "Al Barker", le 9 décembre 2003. Il a travaillé pour le Centre de Guerre Psychologique (Psychological Warfare Center, PWC) à Fort Bragg.

Il y a là une coïncidence remarquable. Trois informateurs indépendants ont approché Redfern, séparément, en moins de deux mois à la fin de 2003, pour lui raconter la même histoire! Ceci suggère manifestement une action concertée pour l'informer, ou plutôt pour le désinformer.

Le risque de désinformation

Au cours du débat sur la liste "UFO Updates" a été soulevée, comme on pouvait s'y attendre, la question d'une possible désinformation. Redfern a admis que c'était une possibilité mais l'a mise en doute pour plusieurs raisons. Tout d'abord, selon lui, il y a eu, en effet, beaucoup de désinformation, mais dans la direction opposée: elle avait pour objectif la propagation de fausses histoires de crashes d'ovnis, à Roswell mais aussi en d'autres lieux tels que l'affaire de Aztec. Et ce programme au long cours de désinformation a été mis en oeuvre juste pour cacher les horribles expériences à White Sands!

En fait, l'histoire de l'ufologie aux Etats-Unis montre, au contraire, une ligne dure de négation des ovnis en général, et tout spécialement des histoires d'accidents d'ovnis. Voyez seulement le cas de Roswell, avec les deux gros livres de l'Air Force contre le crash d'un ovni, en 1995 et 1997. Roswell avait été enterré dès le 9 juillet 1947, et pour trente ans, avec une explication ridicule de ballon-météo. L'affaire a refait surface, lentement, à partir de la fin des années 70, lorsque des chercheurs indépendants ont commencé à trouver des témoins. Et, manifestement, cela n'a pas fait plaisir aux services de renseignement.

Redfern, cependant, va plus loin encore. Il cite M. "T", agent de renseignement au Ministère de la Défense britannique (MOD), qui lui a dit que les fausses histoires de désinformation étaient centrées sur trois sujets (p. 83): 1) des histoires d'accidents d'ovnis avec récupération de cadavres d'extraterrestres; 2) des histoires de bases secrètes au Nouveau-Mexique dont s'étaient emparées des forces "alien" hostiles; 3) des histoires de "mutilations animales imputables aux aliens".

Il est vrai qu'il y a eu une ligne subtile de "désinformation amplifiante", comme l'a appelée le groupe Cometa dans son rapport. Un exemple bien connu est celui de la désinformation dont a été nourri l'ingénieur Paul Bennewitz dans les années 80, révélée par Bill Moore qui y avait participé secrètement. C'est le deuxième point cité par l'agent "T", l'histoire d'une base alien alléguée à Dulce, au Nouveau-Mexique, qui a été exposée en détail dans un livre récent, Project Beta, de Greg Bishop (11). Mais une information fausse peut être lancée pour en cacher une vraie, du même genre! Quant aux histoires de mutilations de bétail liées aux ovnis, c'est exactement le contraire qui est vrai: il y a eu un effort continuel de la part de toutes les agences officielles pour nier cela. Il est flagrant que cette affirmation de M. "T" est fausse.

Une deuxième raison, a plaidé Nick Redfern, pour laquelle il n'a pas été désinformé est la convergence d'informateurs indépendants, racontant la même histoire, et de documents révélant certains aspects semblables à son histoire. Oui, plusieurs informateurs lui ont raconté la même histoire de prisonniers de l'Unité 731: M. "Levine" en 1996 (p. 85), le "colonel" en novembre 2003 (p. 108), "Bill Salter" le 6 décembre 2003 (p. 91), et "Al Barker" trois jours plus tard (pp. 91 et 141)! Mais cette histoire est fausse, et cette convergence pose au contraire la question d'une sorte de désinformation concertée.

Quant aux documents, l'exemple déjà cité du programme "Sunshine" et "Body Snatchers", montre la faiblesse de l'argument. Ce programme n'avait aucun rapport avec les expériences supposées de White Sands, et l'on peut en dire autant d'autres documents cités dans le livre. En réalité, il n'y a pas un seul document à l'appui de cette histoire. Redfern a encore soutenu qu'il n'était pas une bonne cible pour une telle action, car il était à moitié retiré de l'ufologie active depuis quelques années. Mais cet argument n'est pas très convaincant, comme l'a souligné le chercheur américain Brad Sparks sur UFO Updates, en citant une longue liste de participations à des conférences et d'articles publiés ces dernières années.

Conclusion

Au total, l'hypothèse d'une opération de désinformation semble tout à fait plausible. C'est une histoire très douteuse, pour laquelle je n'ai trouvé aucune preuve crédible dans le livre de Nick Redfern. C'est un livre qui risque de relancer la polémique et la confusion sur Roswell. Mais, à mon avis, l'hypothèse d'un crash d'ovni à Roswell tient toujours.

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Notes : (1) Nick Redfern, Body Snatchers in the Desert. The Horrible Truth at the Heart of the Roswell Story, Paraview Pocket Books, Simon & Schuster, New York, NY, 2005 (2) Nick Redfern, Cosmic Crashes. The incredible story of the UFOs that fell to Earth, Simon & Schuster U.K., London, 1999 (3) Linda Corley, "For the sake of my country", MUFON 2000 International UFO Symposium proceedings. (4) Des descriptions de ces propriétés, ainsi que des dimensions du champ de débris, fournies par divers témoins, figurent sur le site de David Rudiak: www.roswellproof.com/debris_main.html Voir aussi mon livre Roswell - Enquêtes, secret et désinformation, Editions JMG, 2004 (5) Sur le web à www.cnd.org/njmassacre/recent-news2.html (6) Peter Williams and David Wallace, Unit 731: Japan's Secret Biological Warfare in World war II, London, Hodder & Stoughton Ltd.,1989 (7) Saburo Ienaga, The Pacific War, 1931-1945, Iwanami Shoten Publishers, Tokyo, 1968. (édition américaine par Pantheon Books, Random House, New York, 1978) (8) Citation du texte: "Unit 731. A half century of denial", se trouvant à: http://www.technologyartist.com/unit_731 (cité par Jan Aldrich dans un message du 22 juin 2005 sur la liste UFO Updates) (9) UFO Updates, 25 août 2005, "Incredible Story Backs Redfern's Roswell Theory" Voir les archives de la liste à: http://www.virtuallystrange.net/ufo/updates/ (10) Pour les "lifting bodies", voir à: http://www.nasa.gov/centers/dryden/news/FactSheets/FS-011-DFRC.html (11) Greg Bishop, Project Beta, Paraview Pocket Books, New York, 2005

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